Troïlus et Cressida : une belle découverte

La salle Richelieu de la Comédie-Française, entièrement rénovée, accueille pour sa réouverture Troïlus et Cressida de Shakespeare, mis en scène par Jean-Yves Ruf. La pièce, histoire d'amour et de bataille qui se joue sur fond de Guerre de Troie, fait son entrée au répertoire. L'occasion de découvrir un texte auquel la traduction experte d'André Markowicz, doublée d'une habile scénographie, donnent un souffle nouveau.

Guerre et Amour

Tout laisse à penser au premier abord, et notamment son titre, que Troïlus et Cressida promet une intrigue amoureuse somme toute classique : Troïlus, fils du roi Priam et valeureux combattant troyen, aime Cressida, fille du devin Calchas passé dans le camp ennemi, celui des Grecs. Sauf que l'histoire d'amour, compromise par le retour de Cressida chez les Grecs à la demande de son père, apparaît presque anecdotique au regard des longues scènes de pourparlers et autres conseils de guerre tenus par chacun des deux camps, entre hommes donc, au cours des trois heures que dure la pièce.

L'univers de Troïlus et Cressida est donc résolument masculin, même si les femmes, principal motif des affrontements virils, sont présentes dans les cœ,urs et les esprits. Elles restent néanmoins cantonnées au rôle de butin ou de monnaie d'échange, tout au plus d'épouse, mais rien qui vaille un solide et imposant guerrier. Et Cressida, que le jeu quelque peu minaudant de Georgia Scalliet valorise d'autant moins, n'échappe pas à la règle.


Finir la guerre

C'est que le véritable sujet de la pièce est bien la guerre, ou plutôt la façon de finir la guerre. Confrontés à un siège interminable dont nul ne voit bientôt plus la fin —, dans tous les sens du terme —,, Troyens et Grecs s'interrogent sur le sens à poursuivre un affrontement qui paraît sans issue. Les beaux yeux d'Hélène, dont l'enlèvement par Paris à son époux Ménélas scelle le déclenchement du conflit, valait-elle tant de vies sacrifiées, questionne Hector.

Du côté grec, la fronde gronde sous les traits d'Achille qui, retranché sous sa tente et lassé de combattre, a cédé aux attraits d'une vie de débauche lascive. Outrés, ses aînés, encouragés par le rusé Ulysse, cherchent un moyen de faire à nouveau valoir l'obéissance et le respect qui leur sont dus. Car sans la force et le courage d'Achille, ils savent leur guerre perdue.



Des enchaînements rythmés

Loin d'être ennuyeuses, les joutes oratoires qui ponctuent la pièce, interrogeant l'honneur, l'héroïsme et la vertu, sont sublimées par la traduction d'André Markowicz qui nous fait littéralement (re)découvrir le texte peu connu de Shakespeare. Le traducteur s'est montré particulièrement soucieux de respecter tous les registres de langage du texte original.

Ainsi, au discours guerrier et héroïque succèdent les intermèdes comiques ou les déclarations amoureuses qui ménagent des respirations au texte.


Des comédiens brillants

Gilles David nous offre un Pandare au poil, tour à tour maquereau, confident et protecteur de Cressida qu'il s'efforce avec un empressement obscène de livrer aux bras de Troïlus.

Quant à Thersite, bouffon grec et mouche du coche dont la verve insolente et moqueuse n'épargne personne, il est brillamment incarné par Jérémy Lopez. Michel Vuillermoz n'est pas en reste, qui a su donner au personnage d'Hector, molosse à la clavicule d'argile, une dimension comique.


Un astucieux dispositif scénique

A la faveur d'un astucieux dispositif scénique qui donne un rythme supplémentaire à la pièce, on passe d'un camp à l'autre. Les Troyens assiégés apparaissent retranchés devant un mur qui occupe le milieu de la scène et les sépare des Grecs. Le mur se lève par intermittence pour laisser apparaître les tentes ennemies, poussiéreuses, trouées et écrasées de soleil comme pour mieux signifier l'enlisement du conflit.

Mais les frontières sont bien plus poreuses qu'il n'y paraît et les échanges incessants entre les deux camps, à la faveur de trêves continuelles, disent l'absurdité d'une guerre qui est d'abord fratricide.


Une découverte

On ressort de la salle avec le sentiment d'une très agréable surprise. Les scènes rythmées par la scénographie et le texte shakespearien contribuent au plaisir que l'on a de découvrir une pièce portée par une juste interprétation et à la joie de se replonger dans les affres de la Guerre de Troie.

pour les dates


« Troïlus et Cressida » de Shakespeare, mis en scène par Jean-Yves Ruf. Jusqu'au 5 mai 2013 à la Comédie-Française (Salle Richelieu)
Location : 0 825 10 1680.



Par Juliette Rabat

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