Prague en fête

La vitale impertinence

Ce mois de décembre, Prague a revêtu ses habits de fête et de lumière. La ville 'aux cent clochers', avec ses immeubles aux couleurs de sorbet, ses jolies rues pavées, réservées aux piétons offre à ses visiteurs un livre d'histoire, de culture, d'art et d'humanité.

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Praue vue du Pont Charles


18 heures. la nuit est tombée depuis une heure. Dans les petites places de Mala Strana, au pied du pont Charles, sur la place de la Vieille Ville, la foule se presse.

Des familles au grand complet avec la grand-mère, la poussette, les enfants déguisés, certains en diablotins coiffés de cornes fluorescentes se croisent, bavardent, rient aux éclats, chantent aussi entraînés par des orchestres en pleine forme. La Saint Nicolas à Prague a des allures de bals du 14 Juillet, à la différence que le thermomètre descend à 5° en dessous de zéro et que le vin chaud épicé de cannelle et de clou de girofle circule plus facilement que le rosé frais. Les marchés de Noël vendent des décorations ravissantes en paille tressée, des gâteaux, des bijoux... Un rôtisseur fait tourner sur une broche d'énormes pièces de viande au dessus de braises , diffusant alentours des odeurs appétissantes. Prague est en fête.


Prague en fête

Pour qui a connu la capitale tchèque « avant », avant la chute du mur de Berlin s'entend, aurait du mal à la reconnaître.

Une cité toute bruissante, joyeuse et lumineuse a succédé à une ville étouffée, au climat lourd, aux façades grises, aux rues désertes.

Prague : les illuminations autour de l'horlogie astronomqiue


En ce mois de décembre, la ville est illuminée dans l'attente des festivités de fin d'année. Autour de la célèbre horloge astronomique, la place, les restaurants, les brasseries, les boutiques sont noirs de monde. Les touristes y sont présents, mais aussi de nombreux Pragois venus admirer l'immense sapin dressé au centre de la Staromestské Nam.

Prague : les musiciens dans la vieille ville


Se promener dans Prague est un vrai bonheur. Une grande partie des quartiers de la Vieille Ville et de Mala-Strana est fermée à la circulation automobile, laissant toute la place aux piétons. A eux revient le plaisir de déambuler nez en l'air et de s'extasier devant les immeubles si bien restaurés, aux couleurs de vanille, de menthe à l'eau et de framboise.

Le patrimoine bâti est exceptionnel. On dit de Prague qu'elle est un « livre d'architecture à ciel ouvert. » La cité épargnée par les bombardements lors de la dernière conflagration mondiale, a préservé quelque 3000 bâtiments et monuments historiques. Les styles roman, gothique, Renaissance, baroque, art nouveau, cubiste y sont largement illustrés, témoignages de la présence autrichienne, de la domination des Habsbourg ou de l'éveil de la conscience nationale tchèque au XIXe siècle. Pour le seul art nouveau, les amateurs d'architecture pourront y découvrir pas moins de 300 immeubles. Plusieurs quartiers pragois sont inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO .


De la dérision à la révolution

Entre l'ancien quartier juif, Josefov et la Vieille Ville, se dresse la basilique Saint-Jacob, sobre à l'extérieur, baroque à l'intérieur.
« C'est là que mes parents se sont mariés. Et moi j'y ai été baptisé ». Les propos seraient parfaitement banals, si ce jeune Praguois n'avait ajouté. « Nous ne sommes pas très portés sur la religion. C'était alors pour nous une façon de faire la nique au régime communiste ! ».


L'humour, la dérision, l'impertinence, la contestation, la rébellion, la résistance... autant d'habitudes et d'armes qui ont forgé l'âme tchèque, à travers les soubresauts de son histoire. En plein cœ,ur de la Mittel Europa, à 1000 km de l'Atlantique et de la Mer Noire, à 500 km de la Baltique et de l'Adriatique, la République Tchèque fait sans doute partie de la « short list » des pays le plus bouleversés par les coups d'accordéons des régimes politiques et du tracé des frontières.

Qu'on en juge : pour le seul XXe siècle, le pays, déclaré République Tchèque en 1918 a subi le découpage de l'empire austro-hondrois après la première guerre mondiale , l'annexion des Sudètes en 1938 —, les provinces germanophones - par le monstre Hitler, avant l'année suivante l'invasion du pays par les nazis , la libération par les Soviétiques en 1945, puis la domination par les communistes à partir de 1948. La tentative d'un 'socialisme à visage humain ' à la fin des années 1960 a été écrasée par les chars soviétiques en 1968. Evènement qui a conduit l'étudiant Jan Palach à s'immoler place Wenceslas. Et puis, quatre ans après la chute du Mur de Berlin en 1989 , la Slovaquie est devenue un état indépendant, faisant sécession avec la Bohême, la Moravie et la Silésie. Aujourd'hui la République tchèque, née de la ' révolution de velours ' compte une douzaine de millions d'habitants dont 10% à Prague, la capitale.

Milan Kundera, dans « L'insoutenable légèreté de l'être », publié en 1984 décrit avec un formidable talent ces couches politiques successives : « La rue où habitait Tamina s'appelait rue Schwerinova. C'était pendant la guerre et Prague était occupée par les Allemands. Son père est né avenue Tchernokostelecka —, avenue de l'Eglise noire. C'était sous l'Autriche-Hongrie. Sa mère s'est installée chez son père avenue du Maréchal Foch. C'était après la guerre de 14-18. Tamina a passé son enfance avenue Staline et c'est avenue de Vinohrady que son mari l'a cherchée pour la conduire à son nouveau foyer. Pourtant c'était toujours la même rue, mais son nom changeait sans cesse, on lui lavait le cerveau pour la rendre idiote. »


Le métronome géant


S'insurger contre les totalitarismes, les obscurantismes et les tentatives de déshumanisation, Prague, ses artistes et ses écrivains y veillent avec une farouche persévérance...

Au pied de la colline Petrin, le sculpteur Olbram Zoubek a eu la charge de rappeler l'horreur de la période communiste. Sa sculpture installe sur des marches une série d'hommes, dont le corps est de plus en plus déchiqueté. Elle est précédé par la mention, gravée dans le métal qui donne la mesure du mal : « 205 486 arrêtés, 248 exécutés, 170 938 exilés 4500 morts en prison, 327 morts en tentant de passer la frontière ».

Prague : mémorial des vicitimes du communisme -Olbram Zoubek


Dès 1964, la statue géante de Staline installée sur le sommet d'une colline a été déboulonnée. Elle a été remplacée par un métronome géant, visible de tout Prague, signé par Vratislav Kardel Novak. Symbole du rythme, du temps, des oscillations de la vie...et de la musique, si prisée à Prague. Ce n'est pas un hasard si Mozart, heureux de l'accueil qu'il avait reçu des Pragois, a donné au théâtre Narodni divaldo la première représentation de Don Giovanni.

De façon plus anonyme, et toute aussi frondeuse, le culte voué à John Lennon. Le fondateur des Beatles est devenu une égérie des Pragois. Non pas que John Lennon ait jamais mis les pieds à Prague, mais ses prises de positions politiques et sa personnalité en ont fait un porte-drapeau des dissidents des années 1970. Le « mur John Lennon », long d'une trentaine de mètres recouvert de graffitis —, autrefois systématiquement effacés par le pouvoir en place - est désormais inscrit au nombre des sites touristiques de Mala Strana.


Mala Strana. Dans ce quartier aristocratique construit autour du Château —, il fallait être proche du pouvoir -, sur la rive gauche de la Vltava (la Moldau), les belles demeures se succèdent, parfois occupées aujourd'hui par des ambassades. Y compris l'ambassade de France.


La saga Lobkowicz

A l'abri du Château de Prague se trouve le Palais Lobkowicz où est réunie une formidable collection de tableaux, de porcelaines, de manuscrits, d'instruments de musique...

Collections Lobkowicz : Breughel - la Fenaison (détail)


De véritables trésors sont mis à la disposition du public. Le visiteur peut y admirer des Cranach, des Velasquez. Parmi les pièces exceptionnelles : Breughel l'ancien. « La fenaison » est l'un des cinq tableaux conservés sur les six à l'origine que Breughel a consacrés aux mois de l'année. Trois sont exposés à Vienne au Kunsthistoristisches Museum, le quatrième au Metropolitan Museum de New York. A découvrir encore deux tableaux de Canaletto réalisés à Londres peu après son arrivée en 1746. Et l'un d'entre eux « La Tamise le jour de la procession du lord Maire » servit de référence pour les fêtes du jubilé d'Elisabeth II en 2012.

Les collections ont de quoi enchanter les amateurs de musique. A travers les générations, la famille Lobkowicz s'est liée aux plus illustres compositeurs. On apprend ainsi que Beethoven a dédié nombre de ses œ,uvres à son bienfaiteur Joseph Frantisek Maximilien. Et quelle émotion de découvrir dans une vitrine, la partition du Messie de Haendel largement annotée par Mozart !

On mesure plus encore notre chance de voir ces collections, lorsque l'on revient sur le passé de la famille, au siècle dernier.

Max Lobkowicz,lors du dernier conflit mondial, installé à Londres avec le gouvernement tchèque en exil, a vu les biens de la famille pillés par les nazis. Puis après un bref retour à Prague, il a dû reprendre le chemin de l'étranger, cette fois-ci les Etats-Unis : les apparatchiks s'intéressaient de près au patrimoine familial, peu enclins à une quelconque bienveillance à l'égard d'une famille qui présentait sans doute un double handicap à leurs yeux : être noble (depuis le XVe siècle) et riche. Il a fallu attendre la « révolution de velours » pour que les biens - collections, châteaux, vignobles - soient restitués à la famille Lobkowicz.


David Cerny, le sculpteur provocateur

Meda et Jan Mladek, mécènes


Autre famille exemplaire , les Mladek. Originaires de République Tchèque Jan et Meda ont vécu aux Etats-Unis. Ils furent toute leur vie les mécènes d'artistes issus de l'Europe centrale sous domination communiste. Les œ,uvres de leur collection sont rassemblées aujourd'hui au Musée d'Art Moderne Kampa à Prague, lequel a, à l'initiative de Meda été ouvert dans l'ancien moulin Sova, en bordure de la rivière, à quelques pas du fameux Pont Charles.

Musée Kampa


Dans le jardin qui borde le Musée sont installés le « Bébés » de David Cerny. David Cerny est sans doute aujourd'hui le plus célèbre des sculpteurs tchèques. Né en décembre 1967, il s'est fait connaître par son talent de sculpteur et de provocateur.

David Cerny - Les Bébés


En 1991, au grand dam des Russes, qui avaient alors protesté, il a repeint en rose le char soviétiqueJS2 (Joseph Staline), posé sur un piédestal et destiné à rappeler la libération de Prague par l'Armée rouge. Cerny n'avait pas vingt-cinq ans.

Depuis, sa capacité à enflammer la polémique ne s'est pas tarie. En 2004, devant le Musée Kafka est installée une sculpture montrant deux hommes qui urinent, pendant que sont débitées des citations extraites de la littérature tchèque. Quant à la flaque de pipi, elle a la forme géographique de la République tchèque...

David Cerny - devant le musée Kafka


Il est aussi l'auteur de l'installation Entropa, dévoilée en janvier 2009, lorsque la République Tchèque a pris la présidence du Conseil de l'Europe. Ce monument a suscité les protestations de tous les pays européens. La France y était représentée par un hexagone barré d'une banderole portant le mot « grève » , l'Allemagne était montrée comme un réseau d'autoroutes en forme, selon certain, de croix gammée, la Bulgarie était symbolisée par des toilettes à la turque...

Facétie ou provocation, l'intervention de Cerny en octobre 2013 au moment des élections législatives anticipées. Sur la Vltava se dressait un immense doigt d'honneur, pointé en direction du Château de Prague, siège de la présidence !

Quel vent de liberté souffle sur Prague.

Prague : David Cerny installation -octobre 2013





Par Elsa Menanteau

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