Maylis de Kerangal - Prix Médicis 2010

Maylis de Kerangal a reçu le prix Médicis du roman français pour 'Naissance d'un pont' (Verticales), son septième roman, ce mercredi 3 novembre 2010. Les prix Médicis du roman étranger et du meilleur essai sont respectivement allés à David Vann pour Sukkwan Island (Gallmeister) et à l'historien Michel Pastoureau pour Les couleurs de nos souvenirs.


Maylis de Kerangal



Le prix Médicis 2010 du roman français a été attribué à Maylis de Kerangal pour son roman 'Naissance d'un pont' (Verticales) ce mercredi 3 novembre 2010.

Par ailleurs, les prix Médicis du roman étranger et du meilleur essai sont respectivement allés à David Vann pour Sukkwan Island (Gallmeister) et à l'historien Michel Pastoureau pour Les couleurs de nos souvenirs.




Maylis de Kerangal




Née en 1967, Maylis de Kerangal a été éditrice pour les Éditions du Baron perché et a longtemps travaillé avec Pierre Marchand aux Guides Gallimard puis à la jeunesse.
Elle est l'auteur aux Éditions Verticales de deux romans, Je marche sous un ciel de traîne (2000) et La Vie voyageuse (2003) et d'un recueil très remarqué : Ni fleurs ni couronnes (2006) dont l'une des nouvelles a été adaptée au cinéma (Eaux troubles, court métrage de Charlotte Erlih, Why Not productions, 2008, 20 min). Son roman Corniche Kennedy (rentrée 2008), unanimement salué par la presse et le grand public, s'est retrouvé dans la sélection de nombreux prix (Médicis, Femina, Wepler, France Culture/Télérama, prix Murat). Naissance d'un pont est paru le 26 Août 2010
aux Éditions Verticales.

Maylis de Kerangal a également publié, chez Naïve : Dans les rapides (2007) et en collaboration avec les Incultes : Une chic fille (2008). Chez Grasset, est sorti Le sport par les gestes (2007), réalisé en collaboration avec François Bégaudeau, Xavier de La Porte, Arno Bertina, etc.




Naissance d'un pont






« À l'aube du second jour, quand soudain les buildings de Coca montent, perpendiculaires à la surface du fleuve, c'est un autre homme qui sort des bois, c'est un homme hors de lui, c'est un meurtrier en puissance. Le soleil se lève, il ricoche contre les façades de verre et d'acier, irise les nappes d'hydrocarbures moirées arc-en-ciel qui auréolent les eaux, et les plaques de métal taillées en triangle qui festonnent le bordé de la pirogue, rutilant dans la lumière, dessinent une mâchoire ouverte. »

Ce livre part d'une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d'un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d'une dizaine d'hommes et femmes, tous employés du gigantesque chantier. Un roman-fleuve, « à l'américaine », qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court.

- Naissance d'un pont
- Maylis de Kerangal
- Éditions Verticales
- 320 pages
- Paru le 26 Août 2010
- 18.90 euros

Extrait :


L'avion amorce sa descente, à cinquante miles de là. Les passagers remuent les cervicales et regardent leur montre, ils ont faim, l'hôtesse de l'air remonte lentement le conduit central, impeccable, chignon banane et collants chair, jette de brefs coups d'œ,il latéraux afin de vérifier les boucles des ceintures et l'inclinaison des sièges, et chaloupe si doucement les hanches qu'elle calme de la sorte les passagers les plus aérophobes, toujours plus inquiets lors de l'atterrissage. Georges Diderot écrase son profil contre la double focale du hublot, il salive, il tressaille : le théâtre des opérations. Here we are ! —, il chuchote dans ses mains brûlantes jointes en cornet autour de bouche. Deux zones immenses et siamoises sont soudées l'une à l'autre par une couture serpentine et survolé de la sorte, c'est un schéma d'une folle puissance, Diderot plisse les paupières, son cœ,ur bouge, il est touché.

Douze mille pieds. La surface terrestre précise sa partition binaire : à l'Est, c'est une étendue claire, céruse crayeuse tirant sur le jaune pâle, chaume semé d'aiguilles convergeant en pelote métallique, à l'Ouest, un massif obscur, mousse noire aux reflets émeraude, dense, irrégulière. Dix mille pieds : la zone blanche vibre, crépite, des milliers d'éclisses éparpillées étincellent quand la zone noire, elle, se tient impénétrable, absolument close. Huit mille pieds. Une ligne de front apparaît qui agence ces deux zones, contre laquelle elles se frottent ou coulissent à la manière de deux plaques tectoniques le long d'une ligne de faille : le fleuve. Sourire de Diderot, sourire de connivence. Cinq mille pieds. Pister à présent le cours du fleuve qui vertèbre l'espace, l'articule, y fraye un souffle, un mouvement qui le doue de vie. Trois mille pieds. Observer souverain les variations chromatiques de la rivière —, rouge brique argileux le long de berges, foncé brun puis violacé sur le médian du lit, ombres turquoises en bord de mangroves et langues blanches dans le creux des méandres —, incision de couleur au sein de cet espace clavé en noir et blanc. Deux mille pieds. À toute allure scanner le sol qui se complique, il y a du tirage en bas, ça guerroie, ça disjoncte : topographie de l'affrontement et tension du relief, il faudra faire attention. Mille pieds. Basculer la tête en arrière et inspirer largement, fermer les yeux, c'est quoi le chantier ? Rapporter l'un à l'autre ces deux paysages, voilà, c'est ça le chantier, c'est ça l'histoire : frittage électrique, réconciliation, fluidification les forces, élaboration du rapport, c'est ça ce qu'il y a faire, c'est ça le travail, c'est ce qui m'attend. Oh Lord !

Par Nicole Salez
Portrait de admin

Ajouter un commentaire