Manuel El Negro

Manuel El Negro est un voyage au cœ,ur d'une Andalousie aujourd'hui en voie de disparition. Le roman de David Fauquemberg est une réussite complète.



«  Manuel El Negro  » de David Fauquemberg est une plongée au cœ,ur du barrio de Santiago, quartier mythique de Jerez, dans une époque révolue. Il y est question de ces maisons, rassemblées autour du patio de vecinos, littéralement la cour des voisins . Les familles qui vivaient là, mettaient en commun leurs richesses et surtout leur pauvreté. Les hommes partaient travailler dans les latifundias qui entouraient la ville. Ils rentraient le samedi soir pour chanter leur misère et leurs malheurs. Mariages, baptêmes et enterrements donnaient lieu à des retrouvailles qui dégénéraient en juergas pouvant durer plusieurs jours. Là se transmettaient les savoirs, dont un essentiel, le chant, le chant profond. Ici, se mêlent personnages réels et héros de fiction.

Le narrateur, Melchor de la Peña, est l'ami d'enfance de Manuel El Negro. Il est payo* et sera tocaor*, Manuel est gitan, voudrait être bailaor et il sera cantaor*.

Une amitié indéfectible se tisse entre eux. Manuel, qui avait passé toute son enfance à écouter les anciens et à danser au coin des rues, s'est mis un jour à chanter, naturellement, comme s'il avait fait ça toute sa vie. Son père l'avait dit, « Manuel a le don ». Et Melchior, béquille de sa vie, l'a accompagné avec son instrument. Scène savoureuse où ils vont écouter en douce le transistor de la Tia Anica la Piriñaca, seule richesse de cette grande chanteuse. L'un va se brûler aux feux de la rampe, pris par le vertige de la célébrité, des compliments frelatés, des amours faciles et éphémères, et des paradis artificiels, qui semblent la seule issue à sa détresse. L'autre, introverti, le nez sur ses cordes, amoureux transi de Rocio, la femme de Manuel, à qui il n'a jamais osé déclarer sa flamme, ne trouvera jamais le repos. Rocio, la danseuse prometteuse avant son mariage, Manuel l'a isolée dans un cortijo* de luxe, où elle a eu tout le temps de cultiver son désespoir.

Au jeu des ressemblances, on peut regarder vers Camaron de la Isla, mais ce serait trop simple, vers Terremoto padre, mort d'avoir vécu trop vite, vers Agujetas et sa vie d'errance qui s'achève quasiment en ermite. Evidemment le guitariste payo qu'on appelle El Gordo (le gros) n'est pas sans évoquer Antonio Moya, le plus gitan des guitaristes payos. Mais ce pourrait être Paco de Lucia. Mais là aussi, ce serait s'en remettre à des évidences.

Ces personnages ont pris leur envol pour raconter une histoire pleine de charme et de mystère, éclairée par les letras, ces haïkus andalous, qui font toute la poésie du chant et disent toute la peine du peuple gitan. Ce roman donne le pellizco , cette émotion violente que l'on ressent en écoutant une siguiriya ou une solea. Il réussit à transporter le lecteur sur une petite chaise paillée, dans un coin discret, pour écouter le grand chant de ces fins de nuit magiques où il ne reste plus grand monde et où l'on atteint le fond de l'âme humaine.

Mais ce «  Manuel El Negro  » est au premier chef une histoire de la transmission, transmission d'une culture et d'un art de vivre. On est flamenco ou on n'est pas.

Une vidéo de David Fauquemberg

- Manuel El Negro, par David Fauquemberg
- Editions Fayard
- 368 p., 20 euros


- payo : non gitan
- tocaor : guitariste flamenco
- bailaor : danseur flamenco
- cantaor : chanteur flamenco
- cortijo : ferme



Par Marie Ningres

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