La Trilogie de la villégiature : Goldoni fidèlement servi

Alain Françon, bien connu pour ses mises en scène de Tchekhov, s'attaque, après La Cerisaie en 2009 et Les Trois Sœ,urs en 2010, à un autre « monde finissant » : celui de La Trilogie de la Villégiature de Goldoni, qu'il monte en version intégrale à la Comédie-Française pour son entrée au répertoire. Une comédie à laquelle on prend plaisir grâce à l'excellent jeu des comédiens.

La bourgeoisie, nouvelle classe sociale

C'est d'abord l'histoire d'une classe sociale émergente au XVIIIe siècle qui peine à trouver ses marques : la bourgeoisie marchande vénitienne qui tente de rivaliser avec l'aristocratie fortunée.

Cette rivalité va, chez Goldoni, prendre pour point d'appui un séjour hautement symbolique : les deux mois d'été qu'il est de coutume, dans la haute société de l'époque, de passer « en villégiature », autrement dit à la campagne, loin de la ville (en l'occurrence Livourne).

La pièce se décline alors en trois actes (conçus en fait à l'origine comme trois comédies distinctes pouvant être jouées indépendamment) organisés autour de ce séjour à la campagne : les préparatifs du départ (Les Manies de la villégiature), la villégiature proprement dite (Les Aventures de la villégiature) et le retour à la ville (Le Retour de la villégiature).


Un théâtre de caractères

A l'image des grandes comédies de Molière, Goldoni parvient à imposer un théâtre de « caractères », non plus improvisé mais « prémédité », basé sur l'observation des mœ,urs et des travers de la société vénitienne.

Dans La Trilogie de la Villégiature, deux familles voyagent ensemble : d'un côté Leonardo (Laurent Stocker), jeune bourgeois fougueux mais ruiné, et sa sœ,ur Vittoria (Anne Kessler) , de l'autre Giacinta (Georgia Scalliet), dont Leonardo est jalousement amoureux, et son père, l'insouciant Filippo (Hervé Pierre).

Un cinquième personnage vient perturber la donne : Guglielmo (Guillaume Gallienne), aimé par Vittoria, mais amoureux de Giacinta.

Enfin, une galerie de personnages secondaires hauts en couleur (mention spéciale à Danièle Lebrun, excellente en vieille veuve lubrique qui refuse de vieillir) complètent la distribution.



Une bourgeoisie à la dérive

L'invitation lancée par Filippo à Guglielmo de prendre place dans leur calèche pour le voyage, provoquant la jalousie de Leonardo, sera l'élément déclencheur de l'intrigue sentimentale. A celle-ci se superpose la critique acerbe d'une classe sociale qui prétend vivre au-dessus de ses moyens, ignorant les rappels à l'ordre des domestiques, qui tentent vainement de tenir les cordons de la bourse.

Leonardo préfère partir en villégiature, sachant qu'il en reviendra définitivement endetté, plutôt que de rester à Livourne et donner prise aux jaseries.

Mais à dépenser l'argent qu'ils n'ont pas à la campagne (c'est à celui qui donnera le repas le plus dispendieux, qui comptera le plus d'invités, chez lequel on s'amusera le mieux), les bourgeois de La Trilogie en oublient comment on profite vraiment de la vie et ont perdu le goût des plaisirs simples.

Ils ne savent plus jouir et ne savent pas plus aimer. La désillusion, financière et amoureuse, sera alors à la hauteur des espérances, les mariages ne remplissant d'autre office que celui de rembourser les dettes contractées.


Tableaux vivants

Rien de révolutionnaire dans la mise en scène d'Alain Françon, très classique. Le metteur en scène est généralement très à l'aise lorsqu'il s'agit de peindre de grandes fresques familiales, surtout s'il est question de décadence et de fin de règne (ce qu'il avait déjà fait avec brio pour La Cerisaie à la colline en 2009).

Un décor ingénieux fait se déplacer légèrement les murs au premier acte, permettant de passer immédiatement d'un appartement à un autre, d'une famille à l'autre. L'acte central, celui de la villégiature, est le plus réussi avec un ballet de personnages qui se succèdent dans une sorte de loggia centrale donnant sur le jardin.

On assiste alors à de véritables tableaux vivants, notamment lorsque la compagnie se met à jouer aux cartes ou se prépare, sous des lampions, à assister à un concert. Les couleurs chatoyantes des costumes, réveillées par le velours rouge des tables de jeu produisent un effet saisissant. Les robes noires et l'atmosphère lugubre de l'acte suivant, celui du retour à la réalité, contrastent violemment avec cet aparté central.


Des acteurs excellents

La vraie réussite de la pièce tient à la subtilité du jeu des acteurs, tous excellents à incarner leurs travers respectifs, qu'il s'agisse de Laurent Stocker en enfant gâté capricieux, colérique et insouciant, ou de Georgia Scalliet, renversante en jeune première indécise qui sait obtenir tout ce qu'elle veut de son père. Lequel, joué par Hervé Pierre, est hilarant en père velléitaire trop gentil et totalement soumis aux caprices de sa fille.

On ressort de La Trilogie de la villégiature avec le sentiment que Goldoni a été très bien servi et que ce beau moment de théâtre doit beaucoup aux acteurs et au goût doux-amer laissé par une comédie acérée.


Au Théâtre éphémère, jusqu'au 12 mars 2012, à 19h en soirée.



Par Juliette Rabat

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