Jockum Nordström à Villeneuve d'Ascq

Made in Suède

Imprégné des traditions, coutumes et histoire de son pays, le Suédois Jockum Nordström y puise les grands thèmes, comme les innombrables détails, des récits dont ses œ,uvres se font l'écho. L'exposition que lui consacre actuellement le Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut (LaM), est sa première rétrospective muséale en France. Une centaine de dessins, collages et sculptures —, papier et carton sont ses matériaux de prédilection —, sont ici réunis selon un parcours à la fois chronologique et thématique, retraçant quelque quinze années de travail.

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« Le dessin, c'est à la fois proche, simple, fragile, mais aussi complexe », confie Jockum Nordström. Grand, mince, le sourire timide, mais chaleureux, et le regard pétillant, ce presque cinquantenaire évoque son travail et son parcours avec autant de modestie que de passion, d'humour aussi.

Enfant, malgré un goût certain pour le crayonnage, il s'imagine marin ou cow-boy. Il garde le souvenir de s'être un jour caché sous le siège d'un autobus pour partir à l'aventure reste vif !

Né en décembre 1963 à Stockholm, où il vit et travaille toujours, il grandit dans une de ces banlieues typiques des années 1970, qui voient fleurir de nouveaux immeubles à un rythme effréné. Les chantiers, une fois vidés de leur population ouvrière en fin de journée, deviennent vite les terrains de jeux favoris des enfants du quartier. Jockum, ses trois frères et sœ,ur sont parmi les plus assidus. Un nouveau rêve occupe un temps ses pensées : celui de devenir charpentier. Il en gardera l'état d'esprit, la conviction qu'on peut tout faire soi-même, penser et construire le monde.

Son père est professeur d'éducation artistique à Konstfack, l'université d'Art, d'Artisanat et de Design de la capitale suédoise , dont Jockum sort diplômé en 1988. Entretemps, il a rencontré Karin Andersson, pour sa part élève au Royal University College of Fine Arts de Stockholm, aujourd'hui connue sous le nom de Mamma Andersson —, d'après un surnom octroyé à la jeune maman qu'elle devient en 1987, alors qu'elle est encore étudiante. Un second fils naît trois ans plus tard. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Jockum Nordström exerce d'abord le métier de postier, avant de connaître le succès en tant qu'auteur et illustrateur d'une série de livres pour enfants intitulée Sailor and Pekka.



Une écriture à la fois simple et savante



Parallèlement, il continue de développer sa démarche picturale. Bientôt, une allergie liée à l'utilisation de la peinture l'oblige à abandonner l'huile comme l'acrylique. Nous sommes au milieu des années 1990, il décide alors de se concentrer de nouveau sur le dessin au crayon. Très rapidement, la couleur lui manque. La gouache et l'aquarelle lui étant autorisées, il s'empresse de reprendre le pinceau. Et, pour élargir son champ d'expression, comme pour se délivrer des contraintes du format, il se tourne vers le collage.

Les ciseaux deviennent tout aussi indispensables que les crayons. Le papier et le carton se font matières premières exclusives d'œ,uvres en deux, puis en trois dimensions.

Dans son atelier, la musique —, jazz et classique essentiellement —, est de mise , elle nourrit la concentration, libère l'imagination, et contribue à l'élaboration, toujours en cours, d'une écriture à la fois simple et savante, parsemée de références historiques et sociales. « Je porte en moi une tradition scandinave évidente. Je suis nourri de l'art suédois. Je le connais comme ma poche. Le climat, les saisons, les couleurs, l'architecture, la langue et le vide, tu ne peux pas y échapper, cela s'accumule avec le temps. »* Un constat qui rythme de bout en bout la vaste exposition qui lui est consacrée au LaM, à Villeneuve-d'Ascq près de Lille.
« Il ne s'agit pas tant d'une rétrospective que d'un bilan, souligne Marc Donnadieu, conservateur pour l'art contemporain du musée nordiste et commissaire de l'événement. Le format de l'exposition correspond à l'œ,uvre en train de se faire. »

Le parcours, conçu en étroite collaboration avec Jockum Nordström, se déroule dans cinq salles entremêlant approches chronologique et thématique. Dessins au graphite, collages emplis de personnages et animaux colorés, ou de portraits subtilisés dans de vieux magazines, sculptures géométriques et délicates, grands formats aux fonds tressés de lanières de papier —, prélevé dans ses carnets de notes —,, le travail de l'artiste, s'il est unifié par l'usage du papier, est multiforme. « On assiste au télescopage de différents registres, époques et techniques, fait remarquer Marc Donnadieu, comme une pelote faite de plusieurs fils partant dans différentes directions. »



L'imaginaire, la poésie et le jeu...



De l'évocation des centaines de Suédois partis, au XVIIe siècle, tenter l'aventure sur les bords du fleuve Delaware, au Nouveau Monde, à celle, ironique, de la bourgeoisie de son pays, « très théâtrale et bourrée de conventions », en passant par la réminiscence des architectures de béton ayant marqué son enfance ou l'observation, tout simplement, du quotidien, les références à l'histoire et à la culture suédoise sont omniprésentes.

Les rapports sociaux et ceux entretenus par l'homme avec son environnement sont un autre thème récurrent. Dans une grande salle dédiée à ses collages récents, des scènes de chasse, de pêche, de travaux de ferme et de construction se laissent ainsi deviner au fil des murs, comme autant de « planches d'activités naturelles, qui parleraient du fonctionnement du monde », note le commissaire de l'exposition.

Ces pièces, où la notion de plan et d'échelle devient secondaire, sont le fruit d'une technique particulière qui voit l'artiste découper des formes et les mettre en couleur avant de les apposer sur un fond, lui aussi préalablement coloré.

« Cela donne parfois une sensation de textile, précise Jockum Nordström. Ça vibre et, selon le temps et l'humidité de l'air, ça bouge. J'aime beaucoup cela ! D'ailleurs, auparavant, j'insistais pour que tout soit bien à plat. Aujourd'hui, je mets juste des points de colle pour laisser le papier vivre. »

Une forme d'indépendance qu'il accorde aussi aux titres, choisis davantage pour la sonorité des mots que pour leur sens , souvent très littéraux, ils n'ont parfois rien à voir avec la scène ou la maquette représentée. « Le titre est très important, insiste-t-il cependant. Car si celui-ci et l'œ,uvre sont proches, quelque chose se passe entre eux, un jeu essentiel de résonnance se met en place. »

Un peu à l'écart, sur toute la longueur d'un mur, les sept planches dépliées d'un fascinant livre pop-up —, fruit de quatre années de travail —, déroulent leur récit à hauteur d'homme. Conçues telles sept missives dont l'artiste se sent « à la fois le destinataire et l'expéditeur », l es pièces de papier mettent tour à tour en scène un couple avec une maison, un marin, un joueur de guitare, une table, une usine, deux lecteurs de journaux et un hôpital . Elles viennent par ailleurs rappeler l'attachement de l'artiste à l'univers de l'illustration. Il aimerait, confie-t-il, un jour « créer un dessin animé ».


La dernière salle est traversée par une longue vitrine sur pieds de huit mètres de long. Y est disposée une multitude d'éléments venant évoquer l'atelier, dévoiler les coulisses de l'œ,uvre : des maquettes d'immeubles à plat, des figurines peintes à l'aquarelle ou découpées dans des revues, des esquisses, etc. « L'idée, c'est d'imaginer que tout cela sort d'une valise ramenée de l'atelier, explique Marc Donnadieu. Tous ces objets ont été soigneusement sélectionnés. Ils témoignent d'un univers, et d'une certaine forme de pensée. » Ils sont les outils avec lesquels, inlassablement, il interroge la vie quotidienne comme la marche du monde. Un monde qu'il ne perçoit pas forcément heureux, d'ailleurs, qu'il voit menacé de destruction, sacrifié par petits bouts sur l'autel du progrès.

Avec ses armes, que sont l'imaginaire, la poésie et le jeu, Jockum Nordström nous invite à réfléchir et, pourquoi pas, à rendre l'avenir meilleur.

* Propos extraits d'un entretien de l'artiste avec Virginie Lauvergne, paru dans la revue Roven #6, Paris 2011.

Par Samantha Deman

Contact > 'Tout ce que j'ai appris puis oublié', jusqu'au 19 mai au Lam Villeneuve d'Ascq, du 26 juillet au 29 septembre au Camden Arts Centre, Arkwright Road, London NW3 6DG, Grande-Bretagne. Tél. : +44 (0)20 7472 5500 www.camdenartscentre.org





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