Jean-Marc Vasseur dirige le service culturel de l'Institut de France à l'abbaye royale de Chaalis. Il nous présente l'exposition « C'est la faute à Rousseau », le nouvel « Espace Jean-Jacques Rousseau », ainsi que d'autres initiatives destinées à faire connaitre davantage Jean-Jacques Rousseau, l'aspect protéiforme de son oeuvre, de ses intérêts et de ses passions (philosophie, botanique, musique, chimie, etc.), et donner envie de (re)lire ses écrits.
(Avertissement : Lors du tournage de la vidéo, à l'ouverture des 11e Journées de la Rose à l'abbaye de Chaalis (8-9-10 juin 2012) « parrainées » par Jean-Jacques Rousseau, le vent était de la partie, d'où le bruit qui couvre parfois la voix de Jean-Marc Vasseur. Le texte suivant de l'entretien vous permet de mieux en suivre les différents volets.)
Voir aussi les articles :
L'année Jean-Jacques Rousseau, célébrée par l'Abbaye de Chaalis et l'Oise
2012, année Rousseau en Rhône-Alpes et à Genève
-----------------
*
Vidéo réalisée par Nicole Salez le 8 juin 2012 lors des 11e Journées de la Rose à l'abbaye de Chaalis, « parrainées » par Jean-Jacques Rousseau
« C'est la faute à Rousseau »
Nous venons de voir une très belle exposition, vous pouvez nous la présenter ?
Jean-Marc Vasseur : L'exposition « C'est la faute à Rousseau » essaie de réunir les témoignages dans la presse des différentes commémorations de Jean-Jacques Rousseau, de 1778 à 1978. Ceci à travers la lecture de plus 5000 articles différents.
Un travail qui a pris beaucoup de temps...
J-M V : Oui, j'ai commencé il y a 7 ans. Un chiffre magique ici. J'essaie surtout d'évoquer les trois apôtres de Jean-Jacques Rousseau, en quelque sorte on peut les appeler comme çà, bien que Rousseau ne soit pas un prophète. Bien entendu, un philosophe n'est jamais un prophète.
Ces trois apôtres, c'est au XVIIIe siècle, le marquis René de Girardin (1735-1808) qui va accueillir Rousseau à Ermenonville du 20 mai au 2 juillet 1778,
Le deuxième apôtre c'est Auguste Castellant (1844-1914), un Isarien, un habitant de l'Oise, qui va dédier sa vie et sa fortune à organiser des commémorations en l'honneur de Jean-Jacques Rousseau.
Le troisième apôtre c'est Maxime Nemo (1888-1975), un tourangeau qui est un homme de lettres, et aussi un acteur qui va faire de nombreuses lectures des œ,uvres d'auteurs du XVIIIe siècle et qui participera activement au renouveau des études rousseauistes.
Il y a aussi des clins d'œ,il dans cette exposition...
J-M V : Ces clins d'œ,il sont plutôt de l'ordre des hasards. Vous savez quand vous êtes dans la recherche, vous arrivez à lorgner au-dessus de la haie du voisin pour voir ce qui s'y passe.
Et c'est ainsi que dans ces recherches, j'ai eu l'occasion de retrouver un livre de botanique ayant appartenu à Jean-Jacques Rousseau en 1778 et qui était considéré comme disparu.
Autre hasard, sortir d'un dépôt où elle était vouée à la casse, une superbe pancarte sur laquelle on avait peint la « cabane » où Jean-Jacques Rousseau aimait herboriser, c'est une évocation du Centre national des commémorations de 1878, Centre qui s'est établi non loin d'ici, au Plessis Belleville.
Quel est l'objectif exact de cette exposition ?
J-M V : C'est être un médiateur. Il faut que cette exposition donne envie aux gens de lire Jean-Jacques Rousseau, de s'intéresser un peu plus au philosophe et aussi de revenir un petit peu sur les a priori qu'on a vis à vis de Jean-Jacques Rousseau, c'est-à-dire éviter d'entendre à chaque fois « oui, il a écrit un livre de pédagogie... et il a abandonné ses enfants ». Je ne veux pas faire le panégyrique des hommes qui abandonnent une femme de temps en temps, mais il faut aussi remettre les choses dans le contexte. Il est extrêmement important de dire qu'à la période de Rousseau ce n'était pas du tout exceptionnel, quand on habitait Paris, de placer des enfants aux enfants trouvés.
Il y a une statistique importante à cet égard ...
J-M V : Oui, on connaît quelques chiffres, entre autres celui de 1762 où nous savons qu'environ 40% des naissances parisiennes se terminaient par un placement aux enfants trouvés.
Au delà de « C'est la faute à Rousseau », d'autres initiatives à Chaalis pour faire mieux connaître Jean-Jacques Rousseau au grand public ?
J-M V : On a pris ce que j'ai appelé les chemins de traverse. Les chemins de traverse, entre autres, c'est utiliser une autre façon de connaître le monde qui ne soit pas déterminée par la raison mais par les sens.
Parmi les cinq sens, celui de l'odorat est certainement celui que Jean-Jacques Rousseau avait le plus développé. Bernardin de Saint-Pierre qui avait l'habitude d'herboriser avec lui à la fin de sa vie disait que si le lexique français avait été un peu plus riche, il est probable que Rousseau aurait réussi à faire une botanique des odeurs. Il sentait les plantes qu'il recueillait et Bernardin disait que huit plantes sur dix qu'il recueillait, Rousseau était capable de les déterminer simplement par olfaction.
En utilisant cette préférence sensorielle, nous avons avec Ouest-Tourisme mis en place toute une série de conférences à l'intention des chefs toqués de notre région pour essayer de créer des menus d'inspiration Rousseau 2012. Et leur réponse a été tout à fait extraordinaire. Personnellement, je ne m'attendais pas à une telle attention. Et ça s'est traduit par la mise en place de menus Rousseau 2012 qui ont beaucoup de succès et, par la suite, par la publication d'un ouvrage « Jean-Jacques Rousseau, dans son assiette » et qui recoupe un petit peu les différentes idées que j'avais développées par rapport au projet menus Rousseau 2012.
Jean-Jacques Rousseau, un personnage plein de ressources, donc...
J-M V : Plein de ressources. On a parlé des odeurs, mais je pense aussi au goût. C'est un très bon connaisseur du vin, presque un oenologue. D'ailleurs dans l'Emile, vous avez un passage tout à fait intéressant où il met en évidence la façon de faire voir si le vin est frelaté ou pas. Quand Emile lui dit 'à quoi bon cela ?', c'est la question qu'il va toujours poser à propos de la Chimie, Rousseau dit que le précepteur va chercher deux bouteilles, une bonne, une mauvaise, y met de la liqueur alcaline et là où ça va se troubler, ça veut dire qu'il y a du plomb dedans. Vous imaginez les ravages que pouvait faire la présence du plomb.
Rousseau, un écolo ?
J-M V : Un écolo, plus, un locavore, comme on dit maintenant. Il disait : il faut acheter local, il ne faut pas faire des kilomètres. N'achetez pas les produits exotiques. Si vraiment vous voulez les manger, allez les manger sur place. Et surtout ne consommez pas les légumes et les fruits hors saison. 'A quoi bon me servirait de croquer dans des cerises qui pourraient pousser dans des serres des riches parisiens ? Ce serait me priver de croquer dans ces fruits délicieux en plein mois de juin, quand il fait chaud !'
L' « Espace Jean-Jacques Rousseau »
J-M V : Le deuxième volet important de la commémoration du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau à l'abbaye de Chaalis, est le nouvel « Espace Jean-Jacques Rousseau »
Pour beaucoup de visiteurs la question se posait, à savoir mais que vient faire Jean-Jacques Rousseau dans la collection de Nélie Jacquemart-André ? Alors, la pertinence évidemment n'apparait pas de prime abord. Donc, dans ce nouvel espace, on a essayé de montrer que, tout simplement, c'est une autre aventure qui s'est déroulée dans ce lieu un peu magique de la collectionneuse qui, comme vous le savez, est morte en 1912. Et nous avons célébré récemment le centenaire de son décès par une cérémonie qui s'est déroulée dans la chapelle.
Donc, pour tout vous dire, en quelque sorte, l'espace Jean-Jacques Rousseau a été nourri par trois fonds : Le fonds Fernand de Girardin qui est l'arrière arrière petit fils du marquis René de Girardin qui accueillit Rousseau à Ermenonville , le fonds Nélie Jacquemart-André qui était très Rousseauphile, qui aimait beaucoup Rousseau, et d'ailleurs qui attachait beaucoup d'importance à la cabane de Jean-Jacques qui appartient toujours d'ailleurs à l'Institut de France , Et puis, le troisième fonds, c'est le fonds Dehaynin. Ce monsieur nous a offert très généreusement une partie du portefeuille de Madame Louise Dupin , amie de Jean-Jacques, dont il fut le secrétaire particulier.
La réunion de ces trois fonds a fait que nous avons pu organiser un espace Rousseau en tenant compte non pas simplement de la vie de Rousseau, à savoir le ixième musée, mais surtout en faisant apparaître trois choses : la première c'est l'aspect protéiforme de Rousseau. Il s'intéresse à la botanique, on l'a déjà vu, à la musique, à la chimie, à l'aviation... son domaine de compétence est très élargi. Et surtout, on a essayé de coller notre propre richesse ici à Chaalis, à savoir de montrer ce qui fait la richesse de notre fonds, les manuscrits autographes à propos de la musique, mais également la collection d'herbiers et enfin, en troisième partie, la commémoration de Rousseau à travers tous les objets dérivés qui ont été vendus dès sa mort, à Ermenonville.
Voilà pour l'essentiel de la facture de ce nouvel espace.
Sur le fonds quel a été votre esprit ?
J-M V : Et bien c'était, comme pour l'exposition « C'est la faute à Rousseau », de présenter cette espèce d'interface agréable pour le visiteur. A la fois dans la déambulation. Rousseau a été un dromomane, comme on disait à l'époque, un marcheur invétéré, et le visiteur sera lui aussi un marcheur qui va déambuler dans l'espace. Mais aussi pour emmener le visiteur vers des domaines moins connus de Rousseau, moins connus que ses œ,uvres littéraires. A savoir, par exemple, son intérêt pour la musique. A propos de la musique, un des éléments essentiels pour nous est le nouveau mode de notation musicale qu'il a mis au point pour la rendre plus facile à écrire et à lire, notamment pour les gens du peuple. Cette méthode aura un avenir extraordinaire puisqu'au XIXe, c'est la méthode adoptée par les Fouriéristes, les socialistes de l'époque, qui avaient trouvé là un moyen d'apprendre la musique au peuple. Et par la suite, cette méthode va être transmise au Japon, puis en Chine pour devenir ce que l'on appelle le Jiangyou, c'est-à-dire la méthode simplifiée, la méthode qui permet donc actuellement à des centaines de millions de Chinois de continuer à apprendre la musique.
D'autres aventures avec la musique, moins importantes, plus anecdotiques, par exemple dans la romance du 'Devin du village', il y a un air tout à fait intéressant dans la pantomime, qui va être repris par un pianiste germano-anglais qui s'appelle Jean-Baptiste Cramer, traverser l'Atlantique, devenir un succès aux Etats-Unis, puis traverser le Pacifique et devenir la berceuse actuellement à la mode au Japon.
- Abbaye royale de Chaalis- 60300 Fontaine-Chaalis-tél : 03 44 54 04 02- -Parc, abbaye et chapelle abbatiales, roseraie et musée : Tarifs 7 euros, TR de 3 à 5 euros- Horaires : Parc, roseraie , église abbatiale médiévale :tous les jours de 11h à 18h- Musée :tous les jours de 11h à 18h.
- A lire : « Jean-Jacques Rousseau, dans son assiette » Editions La Lettre Active (contact@lettre-active.com)- 14,50 euros
- A voir : Vidéo - ' Le manteau arménien de Jean-Jacques Rousseau'. Documentaire réalisé par Patrick Cazals pour les Films du Horla à l'occasion du tricentenaire de la naissance de Rousseau avec le soutien du Conseil général du Val d'Oise.
Avec les témoignages de Yolande Crowe, Angèle et Dickran Kouymjian, Raymond Trousson, Frédéric S. Eigeldinger, Roland Kaehr et le concours du Café Littéraire Les Cascades à Paris et des Armenian Studies de l'Université de Fresno (Californie).
Film de 52 minutes en vidéo HD 16/9ème.
Site internet: www.lesfilmsduhorla.com - Tel : 01 39 47 66 48
Par
Ajouter un commentaire