Toutpourlesfemmes accueille Catherine Avrin avec «J'ai tourné la clé dans la serrure», une nouvelle douce-amère sur le temps qui passe et la fidélité.
Tout me semblait difficile ce soir là, la chaussée était glissante, la nuit tombée trop vite ne me permettait pas de me repérer facilement et les éclairages publics, très haut placés, dessinaient un faible halo sur le sol mouillé. Mes yeux fatigués ne voyaient guère à plus de deux mètres. Il me tardait d'arriver chez moi. La pluie battait son plein et j'avançais tête baissée complètement recroquevillée. Enfin, je reconnus l'enseigne lumineuse bleue du cinéma situé au-dessous de mon appartement. Cette lumière clignotante, familière et bienveillante semblait me lancer des clins d'œ,il pour me faire comprendre que j'étais presque, enfin, chez moi. J'allais bientôt pouvoir me reposer. Arrivée devant ma porte, j'ai poussé un soupir de soulagement.
J'ai tourné la clef dans la serrure et là, j'ai su que quelque chose avait changé ! J'étais persuadée d'avoir fermé la porte à double tour en partant. Et pourtant, un petit quart de tour dans la serrure, un simple « clic ! » et la porte s'était ouverte. Étrange ! Se pouvait-il que ? ... Mon cœ,ur a commencé à s'emballer, mon sang à bouillir, mes mains à trembler. Il a suffi d'une fraction de seconde à mon corps pour comprendre ce que mes yeux n'avaient pas encore découvert... J'ai poussé la porte doucement et glissé ma tête à l'intérieur en retenant ma respiration. Et là...
...J'ai posé mon sac à provisions qui, tout d'un coup m'a semblé beaucoup trop lourd à porter et me suis retenue au chambranle de la porte pour ne pas tomber. Non ! Ce n'était pas possible, je devais rêver ! Il était impossible que ça arrive maintenant. Enfin ! ! ! Mes oreilles se sont mises à bourdonner, ma tête a commencé à tourner. Je n'arrivais pas à y croire. Le souffle me manquait. Mes jambes tremblantes ne me portaient presque plus.
J'ai fermé les yeux pour retenir cet instant, pour arrêter le temps. Rester là, toujours. Ne plus continuer. Ne plus faire un seul pas. Ne plus respirer de peur que cette sensation ne m'échappe, qu'elle disparaisse tel un mirage et m'abandonne. Les yeux fermés à m'en faire mal, j'ai pu alors revivre, l'espace d'un instant, les moments les plus merveilleux de ma vie.
Des souvenirs de mer bleu lagon, de soleil chaud sur ma peau, de rires joyeux, de moments d'amour passionné et de tendresse profonde. Des temps forts, uniques, qui étaient si bien logés au chaud de ma mémoire, ont brusquement refait surface portés par les mêmes sentiments d'emportement, de jeunesse, de passion et de fougue qu'autrefois. Mes si beaux souvenirs, que je craignais d'avoir fanés à force de les avoir fait revivre tant et tant de fois en pensée, n'avaient pas pris une seule ride.
J'ai ouvert de nouveau les yeux et me suis avancée de quelques pas. Deux grosses valises étaient posées dans l'entrée. Ce n'était donc pas un rêve. Je me suis approchée et en ai caressé le cuir avec volupté. Puis, avec fébrilité, j'ai fait sauter les sangles de l'une d'elles et aussitôt, l'odeur de son parfum m'a envahie tout entière. J'ai attrapé une de ses chemises avec fougue et enfoui mon visage dedans. J'aurais voulu me fondre dans son tissu, disparaître au milieu de l'odeur de sa peau, que je retrouvais dans ce vêtement, afin de ne plus jamais en être séparée...
A genoux devant cette valise, je n'avais plus 70 ans, mais 25 ans de nouveau. J'avais l'âge de notre rencontre. Cet homme, je l'avais aimé... Il m'avait aussi aimée passionnément, mais notre merveilleuse histoire d'amour s'était arrêtée en plein vol. Il était déjà engagé. Notre histoire s'était simplement arrêtée sur une belle image, elle n'attendait qu'un petit déclic pour s'offrir de nouveau au vent, à la mer, au soleil, à la vie.
Pour rester fidèle à mon amour, j'avais renoncé à me marier afin d'être disponible dès l'instant où il viendrait me retrouver. Je me suis alors mise à verser toutes les larmes de mon corps. Cela faisait quarante-cinq ans que j'attendais ce moment. Quarante-cinq ans d'espoir récompensés aujourd'hui ! C'était le plus beau jour de ma vie.
A cet instant précis, je me suis sentie affreusement mal et à la fois terriblement bien, soudainement enveloppée et transportée dans un monde de sensualité, de douceur, de torpeur et de tendresse. Une profusion de sentiments se sont mis à bouillir en moi, mélange de passion extrême, de mots d'amour si longtemps retenus, de caresses tant attendues, de larmes d'émotion versées, mais jamais d'espoir brisé.
A petits pas, je me suis engagée un peu plus dans l'appartement. Je ne voulais pas aller trop vite, afin de savourer chaque seconde que je partagerais désormais avec lui.
L'appartement avait changé. Le salon m'est apparu soudain plus clair, les couleurs du canapé plus vives, l'espace plus grand. Jusqu'à l'air qui me semblait plus pur. Dans la salle à manger, je constatais avec étonnement que mes vieux meubles brillaient d'un éclat nouveau, comme s'ils étaient neufs. Les luminaires du couloir semblaient scintiller.
Tout était transformé. Je me suis avancée jusqu'à ma chambre et là, j'ai eu le bonheur de le voir, lui, plus beau, plus jeune, plus resplendissant que jamais.
L'amour de ma vie était tendrement endormi tout habillé, ses chaussures aux pieds, un bouquet de fleurs à la main ! Il avait tenu la promesse que nous nous étions faite, celle de nous retrouver, un jour, lorsqu'il serait enfin libre...
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