Pendant un mois, Sète vit au rythme de la photo. Anciens quartiers industrieux et centre-ville sont investis par les artistes.
Pour la cinquième année consécutive, le festival Images singulières à Sète, qui vient de fermer ses portes, s'enracine dans le paysage des festivals dédiés à la photo. Aux quatre coins de la ville, des espaces sont investis, des anciens chais au bord des canaux à la chapelle du Quartier haut, en passant par le Crac (Centre régional d'art contemporain) et l'ancien lycée Victor Hugo. Pour se déplacer, un petit train est mis à disposition du visiteur, ce qui représente un avantage secondaire non négligeable, visiter la ville et ses canaux sans se fatiguer. Toutes les expositions sont en accès libre.
Pour être tout de suite dans l'ambiance, l'Italien Gianni Cipriano vous accueille à la gare avec ses portraits de femmes très spéciales, siliconées, trans, très cabaret burlesque. Il a parcouru toute l'Italie pour trouver ces beautés dans des concours de miss non conventionnelles. Résultat saisissant. Cela permet d'entrer de plain-pied dans le festival.
Théma «Désert» au Boulodrome
Cette année, la manifestation est particulièrement politique.
Au boulodrome, plusieurs photographes montrent leur vision des nomades du Sahara, les Sahraouis à l'Ouest ou les Touaregs plus à l'Est et au Sud.
Hugues de Wurstemberger et les « Sahraouis », combattants du désert marocain pour leur indépendance, Marie-Laure de Decker et ses « Combattants du Frolinat », rebelles tchadiens, Ferhat Bouda et ses « Chroniques de l'Azawad », mouvement de libération touareg du Nord Mali, révèlent au travers de portraits d'une grande beauté, ou de scènes de la vie quotidienne d'une simplicité biblique, une société qui survit grâce à la solidarité et à l'unité dans la croyance d'une vie enfin libre.
Tous ces photographes ont travaillé au cours de ces vingt dernières années. En revanche, l'exposition « En pays touareg » de Léon et Lévy (Roger-Viollet) montre des photos faites en 1900. Qu'est-ce qui différencie toutes ces photos ? La présence des kalachnikov sans doute. Un siècle a passé, mais le désert est immuable, les hommes sont drapés dans leur burnous, seul le regard fiévreux scrute l'objectif, les femmes vont au puits, la cruche sur la tête, allure et dignité les définissent. C'est comme si le désert avait aboli le temps.
Pour enfoncer un peu plus le clou, un film, « Territoire perdu » de Pierre-Yves Vandeweerd, reprend l'histoire de la lutte des Sahraouis. Ces derniers se battent depuis près de 40 ans pour l'indépendance de ce petit bout de Sahara qui était une colonie espagnole jusqu'en 1976. Beaucoup de Sahraouis vivent dans un camp en Algérie. Pour empêcher les incursions des rebelles du Front Polisario (Front de Libération du Sahara occidental), le Maroc a fait édifier entre lui et l'Algérie un mur de 2400 Km de long. Certains réfugiés ont repris leur ancienne vie de caravaniers et de nomades, d'autres se préparent ardemment à une guerre hypothétique en suivant un entraînement dérisoire, sous un soleil de plomb, à des centaines de kilomètres du mur. Quelques tentatives, pour les plus chanceux, de franchir le mur échouent lamentablement. Le parti-pris de Pierre-Yves Vandeweerd a été de filmer du côté de l'exil algérien, au rythme du désert, avec ses sons omniprésents , la parole y est rare, mais essentielle.
Aux chais des Moulins, exposition collective
Aux chais des Moulins, juste à côté du Boulodrome, s'affichent les monstruosités du XX e siècle, les génocides, les assassinats de masse, le fichage et la marginalité comme réponse à toutes ces horreurs.
Cette monstruosité est montrée sans pathos, de façon quasi clinique.
Le Polonais Tomasz Kizny a travaillé sur les archives du grand massacre perpétré par Staline dans les années 1936-1937, à peine quatorze mois, où un million deux cent mille personnes —, au moins —, ont été arrêtées et sept cent cinquante mille fusillées, après un procès expéditif. Dans l'Histoire avec un grand H, cela s'appelle les purges. Dans le travail de fourmi de ce photographe journaliste pour mettre à jour cette vague sans précédent d'assassinats d'Etat perpétrés sur des civils, cela s'appelle la Grande terreur . La police politique de Staline a ainsi rempli des milliers de fiches. Comme si la pseudo rationalisation de la fiche d'identité pouvait masquer l'horreur. Les tortionnaires, quelle que soit la latitude, photographient, mettent en fiche leurs victimes. Les nazis photographiaient les déportés et leur donnaient un numéro qui était tatoué sur leur avant-bras. L'Israélien Uriel Sinai a photographié des survivants des camps, leur matricule et raconte en trois lignes leur histoire. C'est sec, sans mise en scène aucune.
Les Khmers rouges sont aussi parfaits dans la compilation des « suspects » arrêtés avec toute leur famille et emmenés sans autre forme de procès au sinistre S-21, lieu de torture et de mort, devenu le musée du Génocide. Les portraits que l'on peut voir sont un prêt du musée.
La France n'est pas en reste dans cette folie du fichage et de l'archive. Gitans et Tsiganes en font les frais. Puisqu'à partir de 1907, un laissez-passer leur était nécessaire pour aller d'une ville à l'autre. Cela s'appelle le carnet de circulation qui n'est devenu obsolète que très récemment. Le nomade sédentarisé était encarté lui aussi, car « on ne sait jamais. » Leur profession : rempailleur, sans emploi, prostituée, forain, en fait tous les petits métiers du quotidien, y compris la prostitution. La couleur de leurs cheveux, de leurs yeux. Ces fiches anthropométriques ont facilité le travail pour organiser leur déportation par les nazis. Ce carnet a aussi façonné les mentalités et aiguisé le regard que les populations pouvaient porter sur les gitans. Quelques portraits et fiches, issus des archives départementales de l'Hérault, sont exposés à l'entrée du chai des Moulins.
Dans le cadre du fichage bureaucratique, n'oublions pas les bagnards de Cayenne. La photo anthropométrique de Monsieur Bertillon, père de la police scientifique, a trouvé une de ses premières applications dans le fichage des prisonniers.
A l'ancien lycée Victor Hugo, Destination Eternity
Une exposition, à l'ancien lycée Victor Hugo, est consacrée à l'art funéraire en Bulgarie et autres pays d'Europe de l'Est. « Destination Eternity » d'Eugenia Maximova est une exposition particulièrement drolatique, alors que le sujet ne prête pas à rire. La mode de décorer les tombes de fresques, statues et allégories à la gloire du défunt s'est répandue au début des années 90, on ne sait pas bien comment, sans doute sous l'influence des mafias qui prirent de l'importance avec la chute du mur. Des plaques de marbre ou de granit sont gravées, enluminées d'une danseuse faisant le grand écart, d'un jeune garçon tapant dans un ballon, d'un camionneur au volant de son camion. Tout est bien sûr dans une esthétique réaliste-socialiste du plus bel effet. Car cette exubérance de la tristesse et du malheur est aussi une façon de montrer à la famille, aux voisins et amis combien les parents ou enfants du défunt ont les moyens. Exposition en plein air, dans la cour du lycée. C'est une respiration bienvenue.
Cédric Gerbehaye à la chapelle du Quartier Haut
Pour terminer ce tour non exhaustif de ce festival, allons la chapelle du Quartier Haut qui accueille, pour la 5e fois consécutive, le travail d'un artiste en résidence, invité à découvrir Sète et à montrer son regard sur la ville et les Sétois. Cette année, Cédric Gerbehaye, journaliste et photographe belge, a photographié la ville et ses habitants en hiver, loin des bronze-culs et des touristes. Ici pas d'image de carte postale, pas de joliesse frelatée, mais un regard très vif et très précis sur des gens rudes, souvent des pêcheurs, et des coins insolites, désaffectés qui témoignent de la longue histoire de la ville, loin des Villeroy, Corniche ou Quilles. Chaque visage est une cartographie de la vie, chaque ride a une histoire, le regard est pénétrant et va jusqu'au fond de l'âme. Ville creuset où les étrangers ont rejoint les autochtones pour créer au fil des siècles une culture commune, un regard blasé, une nonchalance et une fierté. Ces clichés montrent cet orgueil d'avoir exercé ce métier de pêcheur, mais aussi la douleur de voir partir la pêche ailleurs, pêche qui avait façonné la ville. Derrière la gaîté, la souffrance n'est jamais loin. Et Cédric Gerbehaye est allé voir loin derrière les apparences. Cette exposition est encore visible à la Maison de l'Image documentaire jusqu'au 26 juillet.
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Images singulières
-www.la-mid.fr
-[Destination eternity>www.emaxphotography.com]
-La grande terreur : www.leseditionsnoirsurblanc.fr
-Musée du Génocide : www.tuolsleng.com
-Uriel Sinai : www.reportagebygettyimages.com
-Pierre-Yves Vandeweerd: www.territoireperdu.com
-www.agencevu.com
- SÈTE #13 / LE LIVRE de Cédric Gerbehaye aux éditions Le Bec en l'Air -
96 pages / 20x24 cm - Français - English - 25 € TTC
- À commander sur : www.la-mid.fr/editions.php
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