Cyrus et Mathilde enchantent Pesaro
Chanteurs, mise en scène, orchestre... la perfection était à l'affiche, cette année, au festival Rossini de Pesaro (Italie) où l'on a pu entendre en plus de la super star Juan Diego Flórez, une nouvelle grande soprano, Olga Peretyatko et la trop rare et merveilleuse contralto polonaise Ewa Podles.
Poétique et fascinante, toujours juste, la mise en scène de Davide Livermore pour cette nouvelle création du Festival de Pesaro, Italie, a porté Ciro ce petit opéra de jeunesse de Rossini à des sommets de beauté, offrant aux immenses chanteurs un cadre à leur hauteur.
Ewa Podles, fascinante Ciro
Joué pour la première fois à Ferrare en 1812 alors que Rossini avait 20 ans, Ciro est l'un de ses opéras sur un thème bibliques, comme le Moïse en Égypte donné l'an dernier. Le livret reprend, très librement, l'histoire du siège de Babylone par Cyrus (Ciro) et le banquet durant lequel, Baldassare roi de Babylone (Balthazar) voit une main inscrire la prophétie de sa chute sur le mur de son palais.
Tout commence dans une salle de projection où des spectateurs élégants s'apprêtent à visionner un film muet sur l'histoire de la chute de Babylone. Au fil des trente scènes, les images de films anciens, ou fragments recréés par Nicolas Bovey avec les visages des chanteurs en gros plan, se mêlent à la mise en scène, avec une inter-pénétration harmonieuse du chœ,ur en costume des années folles et des personnages en costumes d'époque.
Avec l'apparition de Ciro (Cyrus) à la scène 4, la magie envahit le théâtre, portée par la voix d' Ewa Podles. À 60 ans cette immense cantatrice est plus merveilleuse que jamais. Sa voix, (ses voix) parcourent les trois octaves qu'elle couvre avec une souplesse et une agilité presque étrange tant elle est expressive, veloutée , et incroyablement émouvante.
« Je chante avec trois voix, disait-elle dans un entretien avec Joel Kasow en 1998, parce qu'il est impossible de chanter sur trois octaves avec la même voix. »
Mais cette voix est aussi extraordinaire par son timbre sombre et vibrant, intense et profond, capable de faire passer toutes les émotions: « J'ai voulu présenter un Cyrus fort, énergique et déterminé, explique Ewa Podles, mais aussi profondément pensif et sensible. À l'époque où se passe cet opéra, c'est un homme mûr, qui a déjà vécu un demi-siècle, comme moi. Et c'est pourquoi j'ai accepté ce rôle sans hésitation. »
Jessica Pratt était techniquement parfaite bien qu'un peu froide en Amira, l'épouse de Ciro qui refuse les avances de Badassare, un Michael Spyres flamboyant.
Olga Peretiatko, scintillante Mathilde
Le rideau s'ouvre sur deux immenses escaliers, imbriqués l'un dans l'autre, qui montent et disparaissent dans les cintres. L'histoire se passe en Espagne, dans le château de Corradino, dit Cœ,ur de fer, un homme extravagant, cruel, et qui prétend détester les femmes.
Mais Mathilde de Shabran, fille d'un noble guerrier, n'en fera qu'une bouchée. Ce qui est d'autant plus plausible que Mathilde est jouée et chantée par Olga Peretiatko, gracieux rossignol dont la voix agile et sûre va droit au cœ,ur. Le fait qu'elle soit ravissante aide aussi à comprendre le coup de foudre qui frappe Corradino, admirablement joué par un Juan Diego Flórez épanoui. Un rôle fétiche pour lui, son premier grand rôle à Pesaro en 1996, et qu'il reprend cette année pour la troisième et dernière fois.
Le premier acte dure deux heures et quinze minutes, mais il ne faudra que cinq minutes, à la scène 6, pour transformer Cœ,ur d'acier : « Son donna, e tutto ho detto. Portami rispetto, o ve lo fo pagar ! » En deux phrases, Mathilde subjugue et règne. Les histoires annexes n'ont que peu d'importance.
Cet opéra est un chef d'œ,uvre d'ensemble dont la mécanique parfaite, avec des voix virtuoses et splendides, se déroule à la perfection sur le thème de l'extraordinaire transformation, tempête, dans le cœ,ur de Corradino, qui passe de la cruauté à l'amour. Et il est fascinant d'entendre comment les chanteurs habitent l'abstraction cosmique de la musique rossinienne pour exprimer les déchirements de la passion.
Dirigé par Michele Mariotti, énergique chef qui fera ses débuts le 28 septembre au Metropolitan à New York, l'orchestre était précis, chaque détail à sa place.
Et le fait que la petite histoire nous dise qu'il épousera bientôt la belle Olga, illustre ce que chante Mathilde à la fin :
«Femmine mie guardate,
L'ho fatto delirar !
Femmine siamo nate per vincere e regnar.»
Par
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