Deux femmes partent a la recherche des femmes artistes
« Nous avons voulu examiner comment la fonction d'artiste a été accaparée par les femmes au XXe siècle. » C. Gonnard et E. Lebovici sont parties d'un constat : la carrière artistique a été fermée aux femmes pendant longtemps, mais elles ont réussi à surmonter cet interdit. Mais quelles ont été les conditions politiques ou sociétales qui ont permis cela ? Quelles stratégies très personnelles ont-elles développé pour réussir à exister ? Et comment existent-elles dorénavant ? Leur étude a été centrée sur Paris, capitale de l'art de la première partie du XXe siècle.
Paris, première moitié du XXe siècle
Entre 1900 et 1940, 30 000 artistes sont recensés a Paris, dont 3000 femmes (10%). Et pourtant, la carrière artistique était fermée aux femmes , leurs possibilités créatrices étaient niées, leur formation artistique empêchée, mal vue par la société bourgeoise de l'époque. « La femme de génie n'existe pas, et quand elle existe, c'est un homme », dit Octave Uzanne, en 1905. D'ailleurs, comment une femme pourrait acquérir le statut d'artiste professionnelle alors qu'elle n'a pas les mêmes droits civiques et politiques que les hommes ? Dans les ateliers, comme l'Académie Julian, les cours sont payés 50 francs par les hommes, et deux fois plus cher, c'est-à-dire 100 francs par les femmes , le matériel de location coûte deux fois plus si c'est une femme qui le demande.
Après 1944, se produisent deux événement majeurs : le droit de vote pour les femmes (1944) et la parution du livre de Simone de Beauvoir Le deuxième sexe (1949). « La domination masculine est le fait de la société et n'est pas inscrite dans la nature », écrit Simone de Beauvoir , c'est une révolution !
Germaine Richier, rare femme artiste et sculpteur connue, reçoit la commande d'un christ pour l'église du plateau d'Assy. Il est installé en 1950 et fait scandale. Il est retiré de l'église. Il ne sera remis que 20 ans plus tard. Germaine Richier, comme Simone de Beauvoir, est violemment contestée. Pour l'historienne d'art Sarah Wilson, c'est en tentant de s'inscrire spécifiquement DANS l'histoire dominante, faite par les hommes, mais avec sa spécificité d'artiste femme, qu'elle crée le rejet.
Les femmes commencent cependant à exister dans l'art , mais, comme c'est le cas pour les surréalistes d'André Breton, elles existent en tant que Muses, Beauté, Personnification de l'Art, tout, sauf pour elles-mêmes. À Paris, jusque dans les années 70, les femmes ne figurent jamais dans les expositions ou les textes fondateurs des mouvements qui se dessinent, tel le Nouveau Réalisme, la Figuration Narrative dans les années 1960-61, ou Support/Surface, vers 1970. Cependant, les termes dédaigneux de Beau ou Joli ne sont plus les termes exclusifs utilisés pour décrire les réalisations des artistes femmes.
1968-1970 Tournant décisif
« Libération de la femme, année zéro », titre en 1970 un numéro du journal Le Partisan. La pilule est en vente aux USA en 1960, la contraception est autorisée en France en 67 (décrets d'application en 1972), la loi Weill sur l'avortement le 17 janvier 1975. Le féminisme s'installe, certes pas univoque. De très nombreux courants de pensée surgissent, s'installent, disparaissent. Dans le monde de l'Art, fleurit une multitude de collectifs de plasticiennes, plus ou moins contestataires. Des textes sortent sur la question des femmes et de l'histoire de l'art. Aux USA, le mouvement est encore plus important. En 1971, Linda Nochlin et Elizabeth Baker publient Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grande artiste femme ?
Faut-il espérer s'inscrire dans le système, ou le détruire ? Intégration ou subversion ? Les artistes femmes peuvent-elles, doivent-elle influencer le cours de l'art ? L'art a-t-il un genre ? Telles sont les questions que se posent les femmes.
Les artistes femmes refusent de se laisser piéger dans une représentation du féminin construit par les hommes. Elles veulent tracer elles mêmes le féminin. Apparaissent des critiques, souvent acerbes, des clichés véhiculés par les médias, sur l'art conventionnel, sur les représentations du féminin et du masculin. L'analyse de l'infiltration de la domination masculine sur la représentation des symboles, sur les représentations du corps féminin, commence à apparaître.
Les femmes utilisent pour cela les nouveaux médias, qu'elles se sont très vite appropriés, la vidéo surtout, la photo, le cinéma, mais aussi d'autres expressions artistiques qu'elles investissent massivement, comme la performance ou l'art corporel.
« On retrouve ainsi les deux axes privilégiés du féminisme politique, la réappropriation du langage et de l'image et celle du corps par les femmes et pour elles. » Contrecarrant le voyeurisme et les représentations idéalisées par les fantasmes masculins, le corps féminin va être transformé par les artistes femmes, travesti, désorganisé, fragmenté.
Les sculptures de Louise Bourgeois représentent des organes sexuels isolés, sans mise à distance, transformés ou non, mais explicites.
Dans les performances, les corps se montrent altérés, défigurés, dans des poses « vulgaires », osées, provocatrices.
Orlan réalise des expérimentations sur l'apparence, après interventions chirurgicales. Sophie Calle crée l'Action performante, le corps en action.
L'historien d'art Benjamin Buchloh écrit : « Seules des femmes étaient en mesure de procéder à une analyse critique des conventions et des institutions ou la culture visuelle se fonde sur des modèles identitaires sexistes, racistes, et classistes. »
Mais dans le monde de l'Art Contemporain, les femmes sont plutôt invisibles, que ce soit dans les mouvements d'artistes, dans les magazines, dans les expositions. Sonia Delaunay sera, en 1973, la première femme à être exposée de son vivant au Louvre.
Depuis 1980
Les Artistes femmes ne rentrent pas dans ce système , et la présence des femmes dans ce monde reste confidentielle. Et pourtant, existent quelques très fortes personnalités, qui représentent des modèles individuels en dehors du système, comme Aurèlie Nemours, Annette Messager, Louise Bourgeois dont l'exposition en France, en 1989, les Magiciens de la terre, est remarquée.
Dans les années 1990, apparaissent les bébés 68/70, mais elles ont grandi, elles se sont formées aux Beaux Arts de Grenoble, de Paris ou d'ailleurs qui accueillent indifféremment garçons ou filles- et elles sont nombreuses-.
Elles ont, pour s'exprimer, ces pratiques artistiques encore neuves que sont la vidéo, la photo, les installations, les performances qu'elles personnalisent , elles se réapproprient la peinture, qui n'est plus perçue comme un art masculin. Elles commencent à apparaître dans les magazines, les revues, les expos. Au palmarès 2001 de l'hebdomadaire allemand Kapital des artistes les plus côtés, il y a quatre femmes dans les dix premiers , dans les bilans des grandes foires internationales, de 1992 à 2000, comme la Documenta, Paris, les artistes femmes représentent 25% en moyenne. Ce n'est pas encore la parité, mais les femmes, lentement, s'intègrent dans l'histoire de l'art. En 1995, a lieu au centre Pompidou à Paris la grande exposition Fémininmasculin, le sexe de l'art.
Les enjeux formels de l'art sont sous-tendus par d'autres, qui sont sexués et sexuels. « Si vous voulez en savoir plus sur l'art, adressez-vous aux femmes », dit Bernard Marcadé, dans le catalogue de Femininmasculin.
Que répondent-elles aujourd'hui ?
Qu'en est-il aujourd'hui de la présence des femmes dans l'art, de leur influence sur le monde de l'art, de la spécificité de leur travail ? De leur reconnaissance en tant qu'artiste femme et /ou femme artiste ?
En un siècle, la place des femmes dans l'art a subi une révolution. Mais, l'histoire continue.
*Femmes artistes, artistes femmes
Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici
Edition Hazan Paris 2007 (480 pages)
*Entretien avec Orlan
www.actuphoto.com/7313-entretien-avec-orlan-self-hybridation.html
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