Un appel à la différence, La gêne du féminin, Le genre en représentations, Genital Panic, autant de regards portés sur «elles@centrepompidou», par Camille Morineau, commissaire de l'exposition,
Elisabeth Lebovici, historienne d'art, Éric Fassin, sociologue, Amalia Jones, professeur d'histoire de l'art. Cette présentation d'oeuvres au féminin se tient au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009.
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Extraits du catalogue de l'exposition «elles@centrepompidou».
*Catalogue
- Publié aux Éditions du Centre Pompidou, coédition Flammarion Sous la direction de Camille Morineau et Annalisa Rimmaudo
- Format 22 x 28 cm. / version française et version anglaise
- 380 pages, environ 300 illustrations
- Broché ou relié
- Prix : 39,90€
Essais
- Catherine Gonnard, « Les Femmes artistes et les institutions avant 1950 »
- Elisabeth Lebovici, « La gêne du féminin »
- Fabienne Dumont, « Attention, danger ! Création sur influence féministe »
- Eric Fassin, « Le genre en représentations »
- Avital Ronell, « A Diary of Injuries »
- Elvan Zabunyan, « Écrire, disent-elles »
- Nelly Oudshoorn, Ann Rudinow Seatnan et Merete Lie « Du genre et des objets, Réflexions sur une exposition d'objets sexués »
- Catherine de Smet, « Pussy Galore et Bouddha du futur. Femmes, graphisme, etc. »
- Griselda Pollock, « Virtuality, Aesthetics, Sexual Difference and the Exhibition : towards the Virtual Feminist Museum »
- Juan Vicente Aliaga, « Paradoxes du genre. Le cas espagnol »
- Rosi Braidotti, « Téorie féministe posthumaines » Amelia Jones, « Genital Panic, la menace des corps féministes et le paraféminisme » nériques
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«elles@centrepompidou»: un appel à la différence
Camille Morineau, commissaire
En 1970 l'historienne de l'art américaine Linda Nochlin écrivait l'un des textes fondateurs de la pensée
critique féministe en art, choisissant de lui donner un titre provocateur «pourquoi n'y a-t-il pas de grands
artistes femmes»
*Publié dans un numéro de Art News (vol.69, janvier 1971) consacré aux femmes, traduit en français dans Linda Nochlin, Femmes,
art et pouvoir, et autres esais, éditions Jacqueline Chambon, Paris, 1993
afin de prouver qu'une partie de la réponse réside dans la manière dont elle est posée.
Pendant longtemps, démontrait-elle, les artistes femmes n'ont pas bénéficié des conditions de production
ni des modes de représentation et de promotion nécessaires pour accéder au statut d'artiste, et quand
elles y ont accédé, au statut de grand artiste
*Deux auteurs du catalogue, Cécil Debray et Catherine Gonnard, reviennent sur cette période cruciale de la première moitié du XXème siècle.
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Qu'en est-il aujourd'hui ? Que nous révèlent les sédiments
de l'histoire et de la pensée que sont les collections d'un Musée du XXème siècle ? Presque quarante ans
après c'est en effet une institution française qui repose très différemment la question. Les artistes
femmes sont-elles aujourd'hui assez nombreuses, diverses, représentantes
*Pour reprendre la distinction établie par Eric Fassin dans ce catalogue entre «représentantes» et «représentées»
, pour permettre au Musée
de remplir sa mission, celle d'écrire l'histoire de l'art de son siècle ... avec «elles» seules ? Si oui, alors
pourquoi et comment est-ce possible?
Les collections en question
Pourquoi le faire —, sous entendu, pourquoi aujourd'hui? Comment est-ce possible —, sous entendu, à partir
de quel point de vue ? Les deux questions s'enchaînent et se répondent l'une à l'autre. Le Musée s'y consacre
parce que c'est enfin possible (il y a assez d'artistes femmes aujourd'hui pour réécrire cette histoire), et
le «faire» est minimum: le point de vue est celui des oeuvres dans les collections. Ni vraiment le nôtre —,
qui signons pourtant le choix d'une narration thématique, ni vraiment celui des artistes —, pourtant auteures
des oeuvres acquises. Révéler les collections ce n'est pas monter une exposition: les oeuvres sont là,
les choix sont déjà faits. La mise à jour de l'histoire, son explicitation —, ce à quoi revient la présentation
des collections permanentes —, est la mission centrale, et difficile, des Musées. Ajouter un critère de choix
qui ne devrait plus en être un —, celui du genre —, est simplement inédit : si beaucoup de Musées se sont
essayés à l'exposition d'artistes femmes
*Fabienne Dumont rappelle dans son texte les plus récentes, et la bibliographie à la fin de cet ouvrage en témoigne
, le Musée national d'art moderne est le premier à dévoiler
ses collections sous cet angle. L'inscription d'un événement dans l'histoire suffit quelquefois à en changer
le cours.
Cette coupe franche dans les collections relève autant de l'anthropologique, du sociologique et du politique
que de l'histoire de l'art. Elle n'est possible, lisible et concluante, qu'à l'aune de l'épaisseur et de la richesse
de la matière - en l'occurrence les collections de l'un des plus grands musées du XXème siècle. Comme
en dendrologie, le résultat de cette coupe d'une vieille institution en révèle autant sur le lieu de la coupe
(la question du genre) que sur les macro-changements du contexte (l'histoire du goût), sur l'évolution de
l'espèce concernée (l'histoire des musées), que sur la spécificité de l'individu analysé (le Musée national
d'art moderne). N'est-il pas surprenant en effet de découvrir, en miroir et en creux, que les deux grands
musées voisins et complémentaires, le Louvre et le Musée d'Orsay, ne présentent eux que des hommes,
ou presque?
On voit que cette question de la «représentation », prise ici au sens littéral (nous représentons la
représentation des femmes dans la collection) se révèle transitive à différents niveaux - d'un Musée à
l'autre, d'une discipline à l'autre
*Griselda Pollock met ici même la notion de Musée au service d'un renouvellement de la pensée féministe, tandis qu'Avital Ronell et
Rosi Braidotti prolongent chacune de manière différente la pensée historique et politique par une pensée philosophique «genrée»
. Pourtant elle n'est jamais devenue, en France, le moteur d'une critique
généralisée des modes de représentation. Pourquoi le constat en forme de question semble-t-il encore
ici, aujourd'hui, à la fois ridicule et pertinent ? Pourquoi est-il si mal vu de faire un geste pouvant être
interprété comme «féministe», dans un pays où la parité des hommes et des femmes, si elle est
proclamée comme une nécessité, est loin d'être atteinte? (...).
La gêne du féminin
Elisabeth Lebovici
* Elisabeth Lebovici est notamment coauteur avec Catherine Gonnard de Femmes artistes, artistes femmes.
Il y a quelque chose de spécifique aux expositions « de femmes », qui affichent d'emblée leur particularité.
C'est la gêne qu'elles provoquent, notamment chez les artistes concernées. «Vous vous rendez compte!
Une exposition “que” de femmes!» Ne vaut-il pas mieux, comme Joan Mitchell, faire siennes les négations:
«ni femme ni homme ni vieux ni jeune»... ni pute, ni soumise. Le malaise se reflète dans les difficultés
éprouvées à trouver un intitulé attractif, concis, qui fasse mouche. Femmes, au féminin, féminin, femelle...
Quelle galère! Accolé au vocabulaire de la création, le féminin fait tache. Les expressions se traînent
lorsqu'il s'agit d'évoquer des femmes qui s'identifient comme artistes ou des artistes qui s'identifient comme
femmes. Ainsi, d'une façon ou d'une autre, la marque du genre affecte les expositions dès leur titre.
Pire, la recherche lexicographique dresse un bilan consternant : «alter ego, amante, bobonne, bonne
femme, bourgeoise, commère, compagne, concubine, conjointe, cotillon, créature, dame, demoiselle,
donzelle, femelle, femmelette, fille d'Ève, frangine, légitime, matrone, maîtresse, moitié, mousmé, muse,
ménesse, nana, nénette, personne, rombière, régulière, égérie, épouse». Voilà, de a jusqu'à é, la liste de
noms que le Centre national de la recherche scientifique (Université de Caen) dresse en guise de
synonymes du mot « femme ». Les jugements de valeur manifestes ou latents dans ce chapelet de termes
impliquent le discours «phallogocentrique » dénoncé par les philosophes Jacques Derrida, Luce Irigaray
ou Donna Haraway. Dans le dictionnaire, la femme —, si tant est qu'on suppose qu'elle existe comme entité —,,
ce n'est pas celle qui parle ni celle du côté de laquelle on se place. C'est celle qui est de l'autre côté.
«Ce n'est pas moi, c'est l'autre»: on la désigne, on la met à distance, on parle d'elle, on la considère
comme autre et elle devient autre, non seulement pour qui inscrit ces mots mais aussi, surtout, dans la
lecture, pour qui lit. La philosophie politique de Simone de Beauvoir a déjà dénoncé ce phénomène dans
Le Deuxième Sexe. Confinée dans une perception asymétrique des rapports sociaux de sexe, la «femme»,
définie à travers toutes les identités présupposées que lui confère, par exemple, ce dictionnaire, est
constituée comme la figure de l'autre, invitée, au mieux, à la table de la création.
De tels énoncés, et nous pouvons revenir à la question mentionnée plus haut des titres problématiques
des expositions de femmes, ne posent en effet problème que lorsqu'il s'agit du genre féminin. Car plus
généralement dans le langage —, ou dans la langue en général —,, la marque du genre ne s'inscrit qu'au
féminin. Cet argument est soutenu, de façon convaincante, par Monique Wittig, l'écrivain qui ne voulait
pas s'identifier à une femme et porter le « e muet » comme stigmate du féminin. «Genre est employé au
singulier car en effet il n'y a pas deux genres, il n'y en a qu'un : le féminin, le “masculin” n'étant pas un
genre. Car le masculin n'est pas le masculin mais le général. Ce qui fait qu'il y a le général et le
féminin...» D'un côté, l'universel, et de l'autre, la marque du genre.
Le genre en représentations
Éric Fassin
L'émergence visible des femmes en politique, en France et ailleurs, a bousculé l'évidence de la classe
politique: dorénavant, les hommes apparaissent inévitablement en tant qu'hommes, dans leur particularité
virile, et non plus dans leur universalité humaine. Du coup, leur manière d'habiter le rôle ne va plus de soi.
Les hommes politiques découvrent ce qui faisait l'ordinaire des femmes politiques : leur sexe a perdu son
évidence quasi naturelle. Les femmes devaient déjà s'interroger constamment sur leur style, y compris
leur corps ou leur vêtement —, toujours trop féminin, ou pas assez, bref, jamais tout à fait «comme il faut».
Désormais, il pourrait bien en aller de même pour les hommes.
La question qui se pose maintenant à eux, comme à elles de longue date, c'est de savoir comment mettre
en scène le genre. Aussi convient-il de le jouer, au risque de le surjouer, comme on l'a vu dans la campagne
présidentielle française —, mais aussi, peu après, dans la campagne présidentielle aux États-Unis: en France,
si la candidate socialiste recourait sans modération à la carte de la féminité, le futur président endossait
avec outrance le rôle de la masculinité face aux jeunes des quartiers populaires, au risque de paraître
«macho». À l'inverse, outre-Atlantique, la candidate malheureuse dans les primaires démocrates a tenté
de l'emporter sur son rival en l'affrontant sur le terrain de la virilité politique, pour conquérir les classes
populaires blanches en se posant, par contraste avec lui, en «vrai mec». Cette posture quelque peu
paradoxale aide d'ailleurs à prendre conscience que le genre n'est pas le simple reflet (social) du sexe
(biologique) , autrement dit, la masculinité et la féminité ne renvoient pas seulement au fait qu'il y a des
hommes et des femmes : il s'agit bien de représentation.
(....)
C'est même tout le paradoxe du genre. L'historienne américaine Joan W. Scott a montré comment le
féminisme met en scène une tension: s'il encourage les femmes à prendre la parole en tant que telles,
c'est afin de n'être pas traitées en tant que telles. Autrement dit, des femmes parlent en tant que femmes,
pour ne pas se voir assigner un rôle de femmes. De même, prendre en compte le sexe des artistes, c'est
en fait découvrir qu'il découle du genre —, et non l'inverse. Ou pour le dire autrement : la représentation
artistique ne reflète pas le sexe , elle produit du genre. Au travail politique qui donne à voir, avec l'exclusion
des femmes, l'ordre qui régit le monde de l'art, répond ainsi le travail esthétique qui construit une
représentation (et non un reflet) de la féminité —, et du même coup participe, non pas à sa naturalisation,
mais à sa déconstruction.
Genital Panic, La menace des corps féministes et le paraféminisme
Amelia Jones
Depuis les années 1990, cette conscience de la complexité de la formation des genres et de ses rapports
avec d'autres aspects de l'identification s'est accrue, diffusant de manière incontournable, à certains
égards, la spécificité des premières théories et pratiques féministes dans le domaine des arts visuels,
mais proposant aussi, de manière déterminante, une prise de conscience plus subtile de nos mises en
pratique et de nos expériences en tant que sujets marqués par le genre/ sexe, dans un monde capitaliste
finissant, caractérisé par les réseaux et la mondialisation. Dans mon récent ouvrage Self/Image, je propose
une théorisation de cette nouvelle conscience, à travers le travail de l'artiste suisse Pipilotti Rist, sous
l'appellation de «paraféminisme», en observant que «grâce à ce terme —, le préfixe “para” ayant à la fois
le sens de “côte à côte” et d'“au-delà” —,, je veux mettre en évidence l'existence d'un modèle conceptuel
de critique et d'étude qui est parallèle aux formes antérieures du féminisme, tout en venant s'y ajouter
(non pour les supplanter, mais pour les repenser et en repousser les limites) ».
Le paraféminisme rejette l'isolement du genre comme catégorie d'identité à part et propose, au contraire,
une théorie et une pratique articulant des identifications de genre/ sexuelles considérées comme des
processus et imbriquées dans d'autres aspects de l'identification (de race, de classe, etc.). Le paraféminisme
n'a rien de normatif, il est ouvert à une multiplicité d'expressions et de comportements culturels, et
s'intéresse à la révélation des différentiels de pouvoir. Il utilise (voire invente) de nouvelles formes de
pouvoir liées aux formes de subjectivité actuelles et passées qui sont féminines sans nécessairement
relever exclusivement de la «sphère des femmes», tout en refusant d'admettre que le pouvoir ne peut
prendre que certaines formes évidentes. Il recouvre tout acte culturel qui interroge la sexualité et /ou
le genre en tant qu'aspects de la formation de l'identité inextricablement liés à d'autres aspects, comme
l'appartenance ethnique, tout en étant spécifique dans son insistance à faire exploser (et non, contrairement
aux formes antérieures du féminisme, à tenter de critiquer ou de renverser) les structures binaires de la
différence sexuelle.
Si, dans les années 1960, la mise en scène des organes génitaux féminins dans le domaine visuel de la
photographie et du cinéma représentait la manière la plus spectaculaire de démonter les structures alors
apparemment inflexibles du fétichisme (après tout, un renversement visible et explicite était tout à fait
logique dans un monde où les structures avaient été elles-mêmes désavouées et refoulées), dans les
années 2000, en revanche, renversement et critique ne suffisent plus à prendre en compte les nouvelles
approches de la complexité de la subjectivité dans le contexte du capitalisme mondial finissant. Une myriade
d'autres possibilités s'offrent aux artistes féministes —, ou à des artistes désireux d'exprimer d'autres modes
d'identification de genre/ sexuelle, comme manière d'appréhender les effets persistants du patriarcat
dans la culture euro-américaine. De l'exhibition de corps sexués, explicitement gays et racialement
reconnaissables (dans les oeuvres de Cathy Opie, Lyle Ashton Harris, Todd Gray) à l'élaboration insistante
de gammes complexes d'identification encourageant une prise de conscience de la manière dont le genre
est conditionné par d'autres formes de pression culturelle (dans les oeuvres de Zineb Sedira, Mona Hatoum,
Wangechi Mutu, Tanja Ostoji et de bien d'autres), le champ au sein duquel le «genre» opère et est interrogé
s'est —, avec raison —, élargi pour concerner et mettre en question un vaste réseau d'identifications.
- Lire également:
- Centre Pompidou : Collections au féminin
- elles@
centrepompidou: manifestations associées à l'exposition
- http://www.almanart.com/spip.php?article444
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