Egypte : témoignage d'une expatriée

Une interview téléphonique recueillie par Femmexpat

L'Egypte s'embrase : certains expatriés quittent le pays, d'autres restent et soulignent la solidarité entre expats et de la part des Egyptiens aussi. Femmexpat a recueilli ce 1 février le témoignage de sa correspondante au Caire.



Plus d'Internet, plus de SMS, mais encore la liaison téléphonique...qui remarche depuis deux jours. Il ne restait que le téléphone arabe qui fonctionne toujours aussi bien, mais c'est peu pour joindre les siens. On regrette amèrement dans la communauté expat d'avoir mis son vieux fax au panier il aurait été bien utile aujourd'hui. La télévision fonctionne, les grandes chaînes internationales, et de nouveau depuis hier soir la chaîne Al Jazeera.

Nous avons pu joindre notre correspondante expatriée au Caire qui nous a longuement parlé de la situation très critique dans la ville et en Egypte en général.


Ses premiers mots sont pour les Egyptiens

« Nous ne nous sentons pas du tout en danger, car nous sommes complètement aidés, protégés par le peuple égyptien et ceux qui nous entourent dans nos quartiers. Je trouve que c'est extraordinaire et admirable de voir à quel point ils sont soucieux de nous, alors qu'ils vivent des moments extrêmement difficiles pour leur pays. »

« En effet, l'Egypte est à un point de non-retour : sur 80 millions d'habitants, 70 millions font partie de la classe pauvre, et quand on dit « pauvre » c'est non éduquée et donc l'objectif est simplement d'avoir un travail et de pouvoir nourrir sa famille.

Rien à voir avec la Tunisie, où une bonne partie de la population a fait des études et aspire à un meilleur niveau de vie. Autant en Tunisie, quand on parle de démocratie, le peuple comprend ce à quoi il aspire, autant en Egypte ce terme ne signifie pas grand-chose. Le seul moyen pour le peuple égyptien aujourd'hui d'atteindre cet objectif de trouver du travail pour simplement se nourrir et nourrir sa famille, est le départ du Président actuel qui n'a pas su améliorer leur conditions de vie, faire face à la démographie galopante, réduire la corruption, et qui a laissé son peuple s'appauvrir d'années en années.

Ce qui a mis le feu aux poudres, c'est tout d'abord les dernières élections parlementaires avec les 90% de voix en faveur du parti du Président. Cela voulait dire plus d'opposition libérale, et plus de frères musulmans au Parlement : les pleins pouvoirs au Président et ça le peuple n'en veut plus. Il est à bout. »

« Le vœ,u le plus cher du peuple aujourd'hui est donc le départ de ce Président, et qu'on leur donne du pain, du sucre, de l'huile, et un travail pour survivre. »


Tout a commencé il y a quelques jours

« Le chaos a commencé il y a 5 jours, avec intervention de la police qui s'est ensuite retirée car elle n'est pas aimée du peuple contrairement à l'armée qui malgré sa richesse est respectée. Depuis le couvre-feu a été décrété à 16h depuis deux jours, c'est-à-dire que l'on peut sortir de 9h du matin à 16h l'après-midi, ensuite tout le monde doit rester chez soi.

Ce mardi est prévue une manifestation au Caire qui devrait rassembler des millions de gens, donc un couvre-feu de 24h est à prévoir, ce qui ne va pas empêcher ceux qu'ils veulent aller manifester d'y aller. On a quand même constaté que la Police est de retour dans les rues du Caire et que cette fois-ci elle est armée, non plus de matraques mais d'armes à feu. »

« Deux hommes à suivre : tout d'abord le Vice-Président le Général Omar Souleimane, un homme âgé mais respecté du peuple car un ancien militaire et les Egyptiens aiment leur armée. Un autre vient de rentrer en Egypte pour se joindre aux manifestants, Mohamed El Baradei, ancien directeur général de l'AIEA et lauréat du prix Nobel de la paix à ce titre, est rentré la semaine dernière d'Autriche et a pris part aux manifestations, en appelant le président égyptien Hosni Moubarak à quitter le pouvoir. Il ferait alliance avec les frères musulmans. »


Dans la communauté des expatriés, on s'entraide

« Dans la communauté des expatriés, il y a eu des évacuations notamment chez les Américains qui sont partis dimanche, et chez les Français beaucoup de grosses entreprises ont fait aussi rapatrier les familles (femmes et enfants). D'ailleurs, toutes les écoles, qu'elles soient internationales ou locales sont fermées jusqu'à nouvel ordre. Les collaborateurs eux restent sur place, mais beaucoup doivent travailler de leur domicile, difficile de se déplacer sur le lieu de travail pour certains.

Mais il faut vraiment souligner que l'intégrité physique des étrangers n'est pas mise en cause, et que la population locale est vraiment très protectrice, solidaire pour le ravitaillement en nourriture et en eau. Dès que la nuit tombe, les quartiers s'organisent pour la sécurité, la population est armée de gourdins, barres de fer, et ferme des quartiers à la circulation pour éviter les pillages surtout depuis que des prisonniers ont été lâchés dans la nature. Il n'en reste pas moins que beaucoup de magasins ont été pillés, les banques sont fermées, les distributeurs de carte bleue ne fonctionnent plus, et donc va vite se poser le problème de l'argent liquide. Quand le peuple n'aura plus d'argent pour simplement se nourrir, sa colère ne fera qu'augmenter. »

« On vit la situation heure par heure. Il règne aussi au sein de la communauté française une grande entraide. Nous n'avons plus Internet et SMS mais nous avons depuis deux jours le téléphone rétabli en on prend des nouvelles des uns et des autres. Ceux qui sont dans des quartiers plus exposés sont recueillis par d'autres familles, nous avons des amis qui logent à la maison en ce moment. Durant la journée, on se retrouve pour le déjeuner chez les uns et les autres, et ensuite chacun retourne à 15h pour le couvre-feu dans sa maison et se barricade jusqu'au lendemain matin. L'ambassade ne conseille pas l'évacuation pour le moment, mais nous avons le contact de notre ilotier en cas de problème majeur. De toutes les façons, c'est un peu la panique totale à l'aéroport où on manque de kérozène. »


On ne sait pas que quoi demain sera fait

« Les trois prochains jours vont être, à mon sens, décisifs pour l'Egypte : ce mardi grande manifestation à l'heure où nous nous parlons, je ne sais pas encore ce que cela va donner, puis ensuite l'autre point c'est vendredi le jour de la prière, quand il sera 12h heure de Paris, 13h ici au Caire, ce sera la fin de la prière et là ... Si Hosni Moubarak se maintient coût que coûte à son poste de Président, je ne vois pas comment cela va s'arranger ! Pourtant les relations commerciales doivent reprendre rapidement, l'industrie doit tenir pour ce pays dont l'économie ne tient qu'à un fil. »

Le Caire, le 31 Janvier 2011



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