Chopin, les Coulisses du Concours

Dernier grand événement de l'Année Chopin, le seizième Concours Chopin a célébré le bicentenaire de la naissance du compositeur en couronnant, 45 ans après Martha Argerich, une jeune femme, la Russe Yulianna Avdeeva, pianiste impressionnante par sa maîtrise du son et du temps.
Ce jeudi 13 janvier, sur France 2, un reportage pour 'Envoyé spécial' réalisé par Jérôme Bony, dévoile les coulisses du Concours.


Concours Chopin 2010 : Yulianna Avdeeva


Dès le premier tour, deux candidats sortaient du lot : Avdeeva, calme, juste, précise, musicale, et un jeune pianiste qui semblait lui, au contraire, fou, agité, nerveux, magistral et émouvant, Evgeni Bozhanov... Les Russes s'affirmaient déjà, le très jeune Khozainov surtout diaphane et poétique ! Qui allait gagner ?


Un très haut niveau cette année !

Fondé en 1927, le Concours Chopin est plus ancien des concours de piano, c'est aussi le plus prestigieux et le seul à être consacré à un seul compositeur. Il ne suffit pas d'être excellent pianiste, il s'agit d'interpréter le mieux Chopin, ce qui est très subjectif. Le mieux doté en prix, il n'a lieu que tous les cinq ans. C'est le plus long aussi, un happening qui dure trois semaines, à raison de huit heures d'auditions par jour. Pour le jury et pour le public c'est une sorte de traversée où l'on s'embarque, comme pour une croisière.

Une autre particularité du Concours 2010 était, de l'avis général, le haut niveau des soixante dix huit participants, sur lesquels trente quatre jeunes femmes. Plus du tiers étaient de culture asiatique, dont dix sept Japonais. L'autre groupe important était celui des 'pays de l'Est', dont six Polonais et onze Russes.

Chopin : une partition


Après le premier tour, on regrettait l'éviction précoce de quelques pianistes excellents: Fares Marek Basmadji, un Syrien discret, concentré, fin et sensible, La benjamine très douée Anke Pan, le beau son de Louis Schwitzgebel Wang, la ferveur de Mamikon Nakhapetov, un Georgien au profil de corbeau dont la légèreté et la force retenue avait ému le public, l'Américain Eric Zuber, sobre et pourtant poignant lui aussi, et un Israélien vibrant, Yaron Kohlberg dont le charisme avait pourtant fait merveille.
Mais la seule a avoir eu trois rappels était, déjà,... Yulianna Avdeeva.


Les Français à l'honneur

Le deuxième tour a donné aux pianistes retenus l'occasion de se faire mieux connaître avec un programme de 50 minutes, dont trois ou quatre Mazurkas, peut-être les morceaux les plus mystérieux de Chopin. Du côté des Russes, Miroslav Kultyshev a révélé un jeu de papillon tout en couleurs veloutées, avec une rapidité précise et pertinente, Daniil Trifonov une sonorité diaphane. Le Prélude de Nikolay Khozyainov était un vitrail, et sa Valse, profonde comme le creux d'une très haute vague. Yulianna Avdeeva, elle, articulait parfaitement chaque phrase, modulait la voix, le chant, et donnait un sens à ce tout qu'elle jouait.

Les quatre candidats Français se révélaient aussi, tout deux anciens élèves de Bruno Rigutto. François Dumont, sérieux, inspiré, calme et Hélene Tysman toute intérieure. Il faut parler aussi du charismatique Antoine Grolée, peut-être trop original et sûr de lui pour plaire à Philippe Entremont et de Guillaume Masson, très sensible mais qui semblait avoir perdu ses repères.

Concours Chopin 2010 : Leonora Armellini


Après chaque tour, à l'annonce des résultats, on déplorait la perte de certains merveilleux pianistes sans trop comprendre les raisons de leur éviction, ni celles qui amenaient le jury à garder des candidats qui semblaient très ternes.

Ainsi, deux merveilleux pianistes seront encore éliminés après le troisième tour, l'Italienne Leonora Armellini, dont les doigts de velours semblent pétrir le clavier et Mei-Ting Sun, un New Yorkais agile dont la finesse colorée fait chanter le Yamaha, épanouissant les aigus et les graves.


Une polémique injustifiée

Concours Chopin 2010 : Evgeni Bozhanov


Restaient en lice pour la finale dix pianistes. L'extraordinaire Bulgare Evgeny Bozhanov, dont les fans étaient venus de Californie, du Guatemala et du Texas. Est-ce un leger manque de rigueur dans son Concerto, le jury lui refuse un deuxième prix ? Déçu de n'avoir pas au moins un deuxième prix, il nous décevra à son tour en ne venant pas recevoir son quatrième prix et jouer au concert de clôture!
Des deux Français, François Dumont aura le cinquième prix après avoir échangé, pour la Finale, le Fazioli contre le Steinway.

Ingolf Wunder, médiocre aux deux premiers tours et convenu dans son concerto, mais bizarrement plébiscité par le public qui contesta la décision finale du jury, partagera le deuxième prix avec Lukas Geniusas, dont l'interprétation des Études avait été un moment de magie pure. Tous les deux jouent sur Steinway...

Daniil Trifonov spécialiste des sons irréels aura le troisième prix, un cadeau pour la marque Fazioli présente au Concours pour la première fois et que seuls quatre pianistes avaient choisie au départ. Le très jeune, frêle et enchanteur Nikolay Khozyainov a raté de peu un prix comme son compatriote Miroslav Kultyshev qui, s'il maîtrise parfaitement la matière sonore, s'est montré sans beaucoup d'idées dans son Concerto. Le Polonais Pawel Wakarecy aussi a raté de peu un prix mais nombreux étaient ceux, parmi les musicologues et musiciens dans le public qui se demandaient s'il n'était pas allé jusqu'en finale que parce que son professeur faisait partie du jury !

Et c'est la prodigieuse Yulianna Avdeeva, jouant la nouvelle partition nationale établie par Jan Ekier, qui gagne le premier prix avec un Concerto virtuose et très bien construit! Elle offre aussi à Yamaha sa première victoire.

Cette distinction récompense une pianiste qui, depuis le début du concours, s'est montrée égale à elle-même, allant au fond de la pensée de Chopin dont elle sait faire briller toutes les facettes. Yulianna Avdeeva a vraiment su donner cette impression d'improvisation, de vie, de surgissement, caractéristiques de Chopin!



La Philarmonie de Varsovie où a lieu le concours Chopin



Le jury

Un jury très spécial pour cette XVIème édition, constitué presque uniquement de lauréats du Concours. Bella Davidovich, premier prix en 1949, Martha Argerich, premier prix en 1965, Dang Thai Sun, premier prix en 1980, Fou T'song troisième prix en 1955, Adam Harasiewicz, premier prix en 1955, Kevin Kenner, deuxième prix en 1990, Michie Koyama, quatrième prix en 1985 et Piotr Paleczny, lauréat en 1970.

Katarzyna Popova-Zydron, elle, siègeait au titre de professeur du dernier Premier prix, Rafal Blechacz. Il y avait aussi trois autres grands pianistes, Philippe Entremont, Nelson Freire, et Andrzej Jasinski, le Président du jury. Un jury composé majoritairement de grands interprètes, ayant une vision d'artiste, moins étroite peut-être que celle des purs pédagogues qu'on trouve souvent dans les jurys de concours.



Par Élisabeth Schneiter

Portrait de admin

Ajouter un commentaire