L'écrivaine indienne Sushmita Banerjee vient d'être assassinée par les talibans en Afganistan, écho douloureux d'un spectacle vu à Chaillot en juin 2013 dans le cadre de la Biennale d'Art flamenco, Carmen Lilith.
L'assassinat par les talibans de l'écrivaine indienne Sushmita Banerjee, mariée à un Afghan, fait écho douloureusement à un spectacle de la Biennale d'Art flamenco à Chaillot en juin 213 .
Ce spectacle, à la marge de cette Biennale, attisait la curiosité. Trois femmes, une bailaora, la noire gitane Concha Vargas, une cantaora, la blonde Rocio Marquez et une pianiste, Miriam Méndez, petit lutin aux cheveux fous, sur scène pour des saynètes rassemblées sous un titre trompeur, « Carmen Lilith ».
Ce titre suppose certaines connaissances. Carmen, tout le monde connaît la femme libre et fatale, qui court à sa perte, entraînant dans sa chute les hommes qui tomberaient amoureux d'elle. Lilith c'est déjà beaucoup plus délicat. Qui choisir, la première femme, égale d'Adam, et renvoyée aux enfers, à la géhenne dont parle la Kabbale juive, ou la déesse sumérienne de la fécondité et de la séduction, tout à la fois Vénus et Junon.
Manifestement l'auteur Francisco Ortuño Millián a opté pour la Lilith du texte hébraïque , si l'on s'en réfère au texte de présentation. On arrive donc au spectacle ses bouquins sous le bras et ses préventions dans la tête. Grossière erreur. Bannissons les préjugés.
Très vite, on comprend que ce spectacle est un hommage à des femmes, poètesses du monde entier, mortes d'avoir écrit, mortes d'avoir vécu leur rêve, mortes d'avoir aimé, mortes d'avoir milité pour le droit des femmes. Elles sont quatre,
-Ana Mendieta (1948-1985), américano-cubaine, défenestrée par son compagnon, qui sera finalement acquitté, le jury concluant à un suicide ,
-Nadia Anjuman (1980-2005), poétesse afghane, rouée de coups par son mari, verdict un mois de prison ,
- l'Uruguayenne Delmira Agustini (1886-1914), assassinée par son mari après qu'elle l'eut quitté, il se suicidera ensuite ,
- Susana Chavez (1974-2011), Mexicaine, massacrée au coin d'une rue par une bande de jeunes voyous, deux ou trois furent arrêtés puis relâchés.
Disant, chantant et dansant les poèmes de ces quatre femmes, Concha Vargas, Rocio Marquez et Miriam Méndez ressuscitent, l'espace d'un moment, celles qui ont célébré la vie, l'amour, la sexualité et la liberté jusqu'à le payer de la leur.
Un jeu de lumières particulièrement soigné, des projections, œ,uvres de Nuria Font, éclairent la relation qui se tisse entre les trois artistes en scène et les quatre disparues. Le bruit et la fureur, la douceur et la séduction, le trio intègre les combats, les joies, les amours du quatuor dans une escalade proche de la transe.
Ces quatre femmes étaient libres dans leur tête, cette liberté là est insupportable dans le monde machiste où nous vivons, car nul n'a de prise sur elle. La mort apparaît comme inexorable. Mais ce « Carmen Lilith » aide à repousser l'obscurantisme et à se souvenir que tous les jours des femmes meurent sous les coups pour notre liberté.
Pour autant, il n'y a aucun misérabilisme dans ce spectacle, juste une force et une émotion qui passent par ce que l'on appelait en d'autres temps la sororité, cette relation intime et forte qui se tisse entre des femmes. Le talent de ces trois artistes a permis que le public s'intègre au plus près.
Longue vie à ce spectacle qui rappelle opportunément que le combat des femmes pour la liberté est loin d'être terminé.
Contact Daniela Lazary - www.artemovimiento.es
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