Carine et les malentendants

Une caissière de grande surface lauréate du Trophée des femmes de l'année dans la distribution

Carine Oger, hôtesse de caisse chez Auchan, remporte le prix spécial du Trophée des femmes de l'année pour ses actions en faveur des malentendants.






« Depuis toujours je ressens le besoin d'aller vers les autres », déclare Carine, hôtesse de caisse à Auchan Sin le Noble, près d'Arras. Et on la croit volontiers quand on connaît son parcours.

Enfant, elle est impressionnée devant son écran de télévision par les émissions de l'Assemblée Nationale traduites simultanément en langue des signes. «Je ne comprenais pas qu'il n'y ait, à la télévision, aucun autre lieu où l'on s'adresse aux sourds en même temps qu'aux personnes entendantes», affirme la jeune femme qui n'a pourtant aucune raison d'être sensibilisée par ce problème : elle ne compte aucun malentendant autour d'elle.

Venu le temps des études, elle choisit la voie sociale, passe un diplôme d'AES (Administration économique et sociale), et occupe en même temps un emploi de caissière chez Auchan. Un collègue est bientôt nommé dans le même secteur qu'elle. Il est sourd. «Son seul moyen pour communiquer avec les autres caissières était d'écrire et cela le fatiguait» . Pour le soulager, Carine improvise un code gestuel basé sur le mime. Mais elle ressent vite le besoin d'aller plus loin. Elle s'initie donc à la langue des signes, d'abord dans un centre de formation, puis au sein d'une association.

Comment se comportent les clients avec le jeune caissier ? «Ça se passe très bien, assure Carine. Un panneau avertit que l'hôte de caisse est malentendant, qu'il est nécessaire de lui parler de face et de bien articuler. Et il n'y a aucun problème». Elle explique que les personnes malentendantes sont naturellement très ouvertes, la langue des signes reposant sur l'expression corporelle. Et elle ajoute :« Nous, nous avons tendance à cacher nos sentiments, eux ils les expriment. Dans un métier en contact avec le public, c'est très bon».


Initier les écoliers

Aujourd'hui, Carine partage son temps entre ses responsabilités de médiatrice au sein de l'association Trèfle, et son travail de caissière à Auchan. Elle organise des campagnes de sensibilisation dans les entreprises et les écoles. Là, elle explique le handicap, fait prendre conscience concrètement des difficultés quotidiennes (comment un sourd se réveille-t-il le matin ? Comment fait-il quand quelqu'un frappe à sa porte ?, etc. )

La mairie d'Arras (Pas-de-Calais) a soutenu son projet consistant à initier des écoliers volontaires à la langue des signes française (LSF). Et Carine de s'émerveiller : «Il faut voir la ténacité de ces enfants qui n'hésitent pas à sacrifier une heure sur leur coupure de midi, et partent ensuite jouer le plus naturellement du monde avec leurs camarades sourds».

La même aventure au lycée a permis, à partir de l'an dernier —, grande première —,, de faire reconnaître, par le rectorat, la LSF comme option au bac.

En 1959, la loi Buron avait autorisé l'accessibilité des sourds au permis de conduire.
Seul problème : «Rien n'avait été pensé concrètement, aucune structure, qui en permette l'application. Or, si pour la conduite ça ne pose aucun problème, pour le Code il en va tout autrement !». Et voilà l'entreprenante Carine sollicitant une subvention dans le cadre de « la Course en Solidaire », l'obtenant, et mettant en place avec les auto-écoles d'Arras des leçons de code traduites par un interprète en LSF : à ce jour 20 leçons données à 4 groupes de 20 sourds !

Mais la jeune femme veut aller plus loin et initier ses collègues «afin de faciliter la communication et mieux accueillir les clients sourds» : elle propose donc ce projet de formation à la Fondation Auchan et dans quelques écoles de la région. Et ça marche !

Aujourd'hui, les Trophées des femmes de l'année dans la distribution vient de décerner, dans la catégorie Passion, le prix spécial du jury à Carine, qui s'enthousiasme : «J'ai vu tant de portes se fermer, j'ai passé tant de coups de fils qui ne débouchaient sur rien, que cette récompense, aujourd'hui, m'apparaît grandiose !»

Par Julie Montagard

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