”130 poupées, regards d’une femme sur le XXe siècle”

Voici au Musée national de l'éducation (Rouen), une oeuvre surprenante, sensible et pleine d'humour : les différentes facettes de la femme au XXe siècle présentées à travers 130 « poupées figurines » réalisées par Marie-Jeanne Nouvellon. Symboles d'une société en pleine évolution, ces poupées, parfois graves, parfois drôles ou émouvantes, composent une fresque inédite, historique et biographique, au cœ,ur d'un véritable sujet de société : La condition féminine.

Commissaire de l'exposition : Marie-Françoise Boyer-Vidal, responsable du Pôle documentation au Musée national de l'Éducation.

Une œ,uvre inédite au service d'une expression ambitieuse

Marie-Jeanne Nouvellon est la créatrice de près de cent-quatre-vingt poupées qui forment deux collections intitulées La vie de Suzy B... et La deuxième vie de Suzy B... Cent-trente figurines ont été choisies pour réaliser cette exposition, surprenant parcours dans lequel Marie-Jeanne Nouvellon décline un humanisme féminin et projette un modèle de la femme: mère, citoyenne et créatrice.



C'est à partir de 1978 que Marie-Jeanne Nouvellon donne vie à Suzy, personnage né pour permettre à une femme de s'exprimer sur les questions de son temps. Éducation des jeunes filles, place de la femme dans la société, expériences de la vie quotidienne...



Les cent-trente poupées exposées retracent les grandes thématiques abordées par la créatrice, dans une fresque nourrie des révoltes, convictions et réflexions d'une femme du XXe siècle. Par sa sensibilité et son humour, cette œ,uvre pose un regard impertinent sur notre société et nous questionne sur notre époque, celle des mutations profondes, des bouleversements historiques, des métamorphoses scientifiques et technologiques.



Toutes les figurines sont des pièces uniques, réalisées à partir d'une technique atypique qui conjugue art textile et sculpture du tissu à l'aiguille. Trente-cinq années ont été nécessaires à Marie-Jeanne Nouvellon pour achever La vie de Suzy B..., premier volet d'une fresque qui relate l'histoire des luttes sociales et politiques des femmes.


Une fresque biographique


Tout au long de son éducation, Marie-Jeanne Nouvellon ne fréquente que des écoles catholiques privées. Suite à un déménagement durant la seconde guerre mondiale, ses parents n'ont d'autre choix que de la faire entrer à l'école publique laïque: elle y découvre une autre forme d'éducation plus ouverte et la poésie de Victor Hugo qui l'enchante , c'est une révélation pour la jeune fille qui fera de la laïcité un de ses thèmes majeurs.

En 1951, Marie-Jeanne Nouvellon obtient un CAP de couturière en flou. Parallèlement, la société dans laquelle elle évolue connait d'importantes mutations politiques et sociales: agité par cette effervescence, l'esprit militant de Marie-Jeanne Nouvellon se réveille et c'est ainsi que, guidée par ses convictions, elle choisit de mettre ses compétences de couturière au service de la création d'une collection de poupées à travers lesquelles elle s'exprime sur les questions qui la préoccupent: la solidarité, la laïcité, l'éducation des filles, etc.


La réalisation de La vie de Suzy B... débute alors dans les années 1970, Marie-Jeanne Nouvellon consacrera trente-cinq années à cette œ,uvre dont elle fait don au Musée national de l'Éducation en 2005. Elle travaille actuellement sur une nouvelle fresque, La deuxième vie de Suzy B...
Collection faite d'une vingtaine de poupées, la Suzy des années 2000 porte un regard nouveau sur la société actuelle, sans perdre son audace.

Pour découvrir l'exposition plus en détails...

L'exposition compte 17 tableaux, 2 thématiques permettent d'étudier plus en détails le regard que porte Suzy, femme engagée, sur le XXe siècle : l'émancipation des femmes, l'éducation des filles.

L'engagement d'une femme




Femme militante, Marie-Jeanne Nouvellon s'appuie sur son œ,uvre pour servir ses convictions. Parmi toutes les luttes idéologiques et sociales de l'époque, l'une d'elles la mobilise plus particulièrement : celle de l'émancipation des femmes. Alors que le Planning familial fait ses premières apparitions, La vie de Suzy B... est le reflet d'un féminisme qui revendique l'égalité des sexes.

De façon ostentatoire et délibérée, le personnage de Suzy s'engage dans la vie publique et citoyenne, refusant le conditionnement qui fait d'elle un être soumis.

« Monsieur le Président, Nous voulons des femmes au Panthéon »

Si Suzy revendique une égalité politique et sociale, elle devient aussi le porte-parole d'un féminisme de seconde vague: la libération de la femme passe par la maîtrise de la fécondité, le droit à la contraception, ou encore la possibilité de reprendre des études. La femme peut être mère, mais elle est avant tout libre et citoyenne.

« La pionnière des années 1950 admirée par Suzy »

Le thème de la maternité est de loin le moins représenté dans la vie de Suzy. Dans les rares tableaux où il est question de maternité, les occupations d'éducation apparaissent comme de véritables corvées. Manifestement, la relation maternelle s'avère difficile à vivre: il semblerait que Suzy soit plus femme libérée que mère.

Quant à la place des hommes dans cette fresque, elle est bien mince. Interrogée sur les raisons de ce choix, Marie-Jeanne Nouvellon affirme que « le monde masculin, peu apparent [dans cette fresque], affleure de partout et reste constamment en filigrane ». Les femmes, en revanche, sont omniprésentes, rayonnantes, jeunes. De tableaux en tableaux, Suzy garde un corps de rêve, refuserait-elle de vieillir ?

La question éducative

Parce qu'elle est, selon la créatrice, la clé du progrès social, la question de l'éducation des filles occupe une place privilégiée dans l'œ,uvre de Marie-Jeanne Nouvellon. Son parcours scolaire illustre d'ailleurs en partie l'histoire de l'éducation des filles.

Elevée dans un cadre chrétien bien-pensant qui l'oppresse, Marie-Jeanne Nouvellon ne fréquente que des écoles ou institutions privées. En 1940, le régime de Vichy manœ,uvre un retour à une France rurale, catholique et conservatrice, menaçant les avancées démocratiques du XXe siècle. La famille et la femme mère, gardienne du foyer, y sont exaltées: des lois imposent le retour de la femme au foyer, le divorce est rendu difficile, l'avortement interdit. Une réalité que Marie-Jeanne Nouvellon rejette en bloc et choisit d'illustrer dans La vie de Suzy B...

Selon la créatrice, l'éducation est une affaire de femmes. Dans un tableau, elle dénonce par exemple l'inégalité de traitement, dans le cadre familial, entre les garçons oisifs et les filles auxquelles reviennent les corvées ménagères.


« Ce n'est pas l'anneau le symbole du mariage mais le caddy »

Toutefois, le propos éducatif de la créatrice porte sur l'enseignement scolaire avec une opposition marquée entre institution religieuse et école laïque, l'école de la Légion d'Honneur constituant une variante républicaine.

« La sœ,ur de Suzy entre à la Légion d'Honneur »

Sans équivoque, Marie-Jeanne Nouvellon pointe les méfaits de l'école privée telle qu'elle l'a vécue: la culpabilisation des fillettes, la sévérité des règlements, les messes et les prières imposées. Elle réfute l'expression « école libre » et fait s'exprimer Suzy avec audace: « La seule école libre c'est l'école buissonnière ».

« La seule école libre c'est l'école buissonnière »

Le militantisme de Marie-Jeanne Nouvellon s'exprime pleinement dans sa défense de la laïcité, en France comme à l'étranger.

« Moi, mon homme, c'est Jules Ferry... »

Indéniablement, la créatrice place la question éducative au cœ,ur de ses réflexions, afin de servir comme elle le souhaite l'émancipation de la femme.

Un ouvrage pour analyser l'œ,uvre de la créatrice



Publié par les éditions SCÉRÉN, l'ouvrage qui accompagne cette exposition replace la réflexion dans une perspective historique et scientifique. Il propose une approche originale des thèmes abordés dans les programmes du lycée, pour les disciplines suivantes: lettres (les femmes écrivains engagées), éducation civique, juridique et sociale (déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, le citoyen et la loi), sciences économiques et sociales (individus et cultures, rôle de l'éducation dans la construction de l'identité , le rôle du jouet en tant que marqueur d'identité sociale).

Préfacé par Anna Gavalda dans un hommage à Marie-Jeanne Nouvellon, cet ouvrage est réalisé par Marie-Françoise Boyer-Vidal, responsable du pôle documentation du Musée national de l'Éducation, CNDP, spécialiste des objets culturels pour les filles, et Bruno Poucet, professeur des universités en sciences de l'éducation (université d'Artois), spécialiste de l'histoire de l'enseignement privé.

- Regards sur les femmes au XXe siècle
- par Marie-Françoise Boyer-Vidal et Bruno Poucet
- Préfacé d'Anna Gavalda
- éditions SCÉRÉN
- A paraître en janvier 2012
- 88 p.
- 18 euros
- disponible sur www.sceren.com

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Le Musée national de l'Éducation : Un rôle pédagogique de mémoire et de transmission

Le Musée national de l'Éducation est une institution muséale reconnue parmi les cinq musées scientifiques nationaux. Lieu de référence en matière d'histoire de l'éducation, il assure la gestion matérielle, documentaire et scientifique de quelques 900000 documents relatifs à l'histoire de la pédagogie et de l'enfance en France depuis le XVIe siècle.
C'est donc tout naturellement que Marie-Jeanne Nouvellon s'est tournée vers le CNDP et le Musée afin de garantir la conservation de son œ,uvre, et d'assurer la transmission des valeurs morales propres à chaque figurine de la collection. Ainsi, toutes les Suzy continueront de s'exprimer, afin d'alimenter la réflexion et la recherche dans les domaines de l'histoire sociale des représentations, des arts et de la culture.

Par Nicole Salez